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REVUE DES DEUX MONDES.

Comment les cultes se sont succédé sur cette terre africaine où tant de lieux sont muets pour l’histoire ; comment les légendes se sont transmises et transformées, comment elles ont reçu une sorte de baptême islamique, c’est l’affaire de nos savans et de nos chercheurs. Ils ne nous ont pas manqué : ils nous laissent et nous donnent encore leurs admirables et patiens travaux. Ils nous disent à quelle souvenance relier le sacrifice du bélier et celui du taurillon noir et les noms des légions de dieux champêtres, qui protégeaient les familles. Dans la position des pierres de la mzara, dans la forme de la pierre levée, ils reconnaissent la figure d’un siècle, ils retrouvent dans le chemin que suit le pâtre, l’attraction secrète qui le ramène à l’immémorial passé. On voudrait n’avoir écrit ces lignes que pour susciter des lecteurs aux travaux de M. Douttée, de M. Rinni, de Coppolani, qui paya de sa vie ses audacieuses recherches dans le fonds des secrets islamiques, de M. Salmon, mort prématurément et qui a laissé si modestement ses précieuses notes dans les archives marocaines. Ceux qui veulent vraiment voir autre chose que la sente aride, les processions blanches, les douars clos comme des ruches d’abeilles, qu’ils lisent ! Alors les longues étendues de plaine déserte, si monotones au voyageur, s’animent : la terre parle, les hommes impassibles, les femmes cachées dans les haïks, muettes comme les spectres, les pierres, les arbres, les eaux, les petits dômes, tout vit, tout a un nom.

Nos savans, ils ont attendu le marabout, l’ouali, le saint, quand il arrivait au village, le Livre Saint dans sa besace. Ils l’ont vu, portant sur ses épaules, le mezoued contenant la galette de pain noir, les figues et les olives. Il tenait accroché à sa ceinture le long tuyau de fer blanc où était roulé le parchemin prestigieux, l’arbre généalogique, talisman des talismans contrôlé souvent pour un peu d’argent par l’autorité officielle. Comme tout était facile ! Pour donner ou pour rendre la ferveur islamique à un lieu qu’habitaient déjà les génies, où les talismans, les augures, les présages réglaient depuis toujours la vie des hommes, il n’avait qu’à en prendre possession au nom du Prophète. Point n’était besoin de renverser des autels ou d’édifier des temples. Nulle théologie précise ne venait se substituer à des conceptions définies. L’ouali apparu comme par miracle, établi sous sa tente au lieu qu’une légende chère consacrait,