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pour laquelle le projectile serait lancé suffisamment loin dans l’espace pour échapper complètement à l’attraction pesante de la terre et ne retomberait plus sur elle. Tel était le cas du boulet fantaisiste dans lequel Jules Verne a transporté ses voyageurs, et avec eux nos jeunes imaginations, de la Terre à la Lune. Or il en est de même des molécules des gaz qui se trouvent dans les régions externes des atmosphères astrales et on peut calculer que lorsqu’une de ces molécules a une certaine vitesse minima, — qui est de 11 kilomètres par seconde dans le cas de notre globe, — elle s’échappe pour toujours de la sphère d’attraction de l’astre et continue sa trajectoire vers l’infini. L’atmosphère perd donc continuellement les molécules gazeuses qui sont animées d’une vitesse suffisante. Or, comme la distribution des vitesses moléculaires obéit à la loi des grands nombres, il y a toujours des molécules qui ont de grandes vitesses ; donc, les atmosphères astrales s’appauvrissent sans cesse. L’appauvrissement sera plus fort pour les astres les moins pesans, car par la gravitation, une grosse planète retient plus qu’une petite les molécules atmosphériques. C’est ainsi que la Lune, dont la masse est faible, a perdu toute son atmosphère primitive. La Terre a perdu l’hydrogène qui est très léger et l’hélium (alors que ces deux gaz sont encore abondans autour de l’énorme masse solaire} et elle a conservé l’oxygène et l’azote, qui sont plus lourds.

Ce phénomène joue, d’après Arrhenius, un rôle important dans les nébuleuses où la gravité, surtout dans les parties externes, est très faible, et à cause aussi de la faible densité des gaz qui les constituent (hydrogène, hélium, nébulium). Les régions externes des nébuleuses perdront donc facilement leurs molécules gazeuses, refroidissant ainsi les couches les plus éloignées du centre. Pour la même raison, la chaleur envoyée des soleils aux nébuleuses ne les échauffe pas (puisque la température d’un gaz est d’autant plus élevée que sa vitesse moléculaire moyenne est plus grande) : en effet, leur rayonnement communique bien de la vitesse à certaines molécules, mais celles-ci s’éloignent alors de la nébuleuse pour toujours, et finissent par être absorbées par un soleil dont elles entretiennent le rayonnement.

Dans l’avant-dernier cours qu’il a professé à la Sorbonne, Henri Poincaré a analysé finement ces idées d’Arrhenius. Il leur a opposé quelques difficultés ; pourtant, bien que croyant à la validité générale du principe de Carnot, il paraît avoir été ébranlé par elles, et sa conclusion est à la fois prudente et dubitative, bien qu’on y devine le sens dans lequel il inclinerait : « De cette discussion, je ne veux pas