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d’autre d’une vitesse moyenne ; elle est assimilable, si on peut dire, à un essaim d’abeilles dans lequel celles-ci seraient des molécules. Si on chauffe cette masse gazeuse, la vitesse moyenne des molécules augmente. Supposons alors un récipient donné, rempli d’un gaz dont la température soit égale dans toutes ses parties ; séparons-le en deux par une cloison percée de toutes petites ouvertures telles qu’une seule molécule puisse les traverser à la fois. Chaque ouverture est munie d’une soupape derrière laquelle se trouve un petit être infiniment petit et intelligent, que Maxwell appelle un démon et Henri Poincaré un douanier (ce qui est à la fois plus exact, plus spirituel et moins saugrenu dans cette fiction assez fantastique par elle-même). Les masses gazeuses des deux moitiés du récipient sont continuellement brassées et mélangées par les molécules qui passent de l’une à l’autre à travers les petits trous. Chaque fois qu’un des petits douaniers verra une molécule à grande vitesse[1] se diriger de la moitié gauche à la moitié droite du récipient, il ouvrira sa soupape pour la laisser passer. Il la fermera au contraire à toute molécule à faible vitesse allant dans la même direction. De même il laissera passer les molécules à petite vitesse allant de la droite vers la gauche, mais fermera le passage aux molécules à grande vitesse allant dans la même direction.

Il arrivera donc que toutes les molécules animées d’une grande vitesse seront réunies dans l’un des compartimens, toutes celles qui ont une vitesse faible dans l’autre. Autrement dit, il passe de la chaleur (car c’est en cela que consiste la vitesse des molécules) d’un des compartimens qui se réchauffera sans cesse à l’autre qui se refroidira de même. Il passera de la chaleur d’un corps froid à un corps plus chaud ; on aura séparé la masse gazeuse primitivement isotherme en deux fractions à température différente. On aura violé et tourné le principe de Carnot.

Or cette histoire merveilleuse des petits douaniers démoniaques de Maxwell, Arrhenius ne prétend pas qu’elle soit réalisée dans la nature, mais il nous donne des raisons de penser qu’il s’y trouve quelque chose d’analogue.

Pour plus de clarté, on nous permettra d’abordune légère digression à propos des gaz qui constituent les atmosphères des planètes. On sait que lorsqu’un projectile est lancé, horizontalement ou verticalement, avec une arme à feu, il met d’autant plus de temps à retomber sur le sol que sa vitesse initiale est plus grande ; il existe même une vitesse

  1. C’est-à-dire animée d’une vitesse plus grande que la vitesse moyenne du gaz qui caractérise sa température.