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d’applaudissemens ; seuls, les socialistes unifiés et quelques radicaux sont restés renfrognés et hostiles.

Dans la dernière partie de son discours, la voix de l’orateur a été souvent couverte par les violentes interruptions de l’extrême gauche, qui ne voulait pas admettre qu’à la fin de l’Empire, des républicains comme Jules Simon et Jules Favre eussent contribué, par des discours qu’ils ont regrettés ensuite, à maintenir le pays dans l’illusion sur les projets et sur la force agressive de l’Allemagne. M. Jules Guesde en particulier ne peut pas admettre que tant de bons citoyens se soient trompés en 1870 et qu’on disperse une responsabilité qui, comme il le dit élégamment, doit retomber tout entière sur « M. Bonaparte. » Laissons à l’histoire le soin de se prononcer ; c’est son affaire, la nôtre est de pourvoir aux nécessités de l’heure présente. Qu’elle soit inquiétante pour notre pays, M. Lefèvre l’a démontré avec les chiffres les plus probans et une vigueur d’argumentation à laquelle il est difficile d’échapper. Depuis trente ans, l’Allemagne a dépensé en crédits militaires extraordinaires le double de ce que nous avons dépensé nous-mêmes. Quel est le but de ces dépenses ? C’est de préparer le matériel nécessaire à ce que M. Lefèvre appelle une « attaque brusquée. » Il restait à mettre les effectifs en rapport avec les moyens d’action qu’on avait lentement accumulés : la nouvelle loi allemande a précisément cet autre objet. Dans quelques mois, l’Allemagne aura à la fois le matériel et les effectifs nécessaires ; il faudrait fermer les yeux à la lumière pour ne pas le voir et nous abandonner nous-mêmes pour ne pas y pourvoir. Si la guerre éclate, il n’est pas douteux pour M. Lefèvre qu’elle éclatera subitement, brusquement. Tout en effet a été disposé de l’autre côté de la frontière pour que, dès les tout premiers jours, grâce à l’énorme renforcement de son armée de première ligne, l’Allemagne porte des coups décisifs. Elle a d’ailleurs besoin qu’il en soit ainsi. Ses réserves en numéraire qui sont moins grandes que les nôtres, les difficultés de son ravitaillement alimentaire qui le sont beaucoup plus, lui rendraient particulièrement onéreuse une guerre de longue durée. Elle a en outre un intérêt évident à nous atteindre et à nous blesser dans nos œuvres vives avant que la Russie, dont la mobilisation est plus lente que la nôtre, ait pu nous apporter son concours : nous frapper d’abord et le faire mortellement, se tourner ensuite du côté de la Russie, tel est son plan. Il est vrai que M. Jaurès, dans son projet, espère retarder les premiers coups qui nous seraient portés en abandonnant un quart de la France à l’ennemi, pour nous