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dire par là que le débat parlementaire auquel nous assistons soit sans objet. La tribune a un retentissement supérieur à tout autre, et il importe au groupement des partis, aussi bien qu’à l’autorité du gouvernement, que les paroles définitives et décisives partent de là. Seulement, qui ne sut se borner ne sut jamais parler. Nous avons dit un mot du discours de M. Chautemps. Malgré les violences sans excuses qui le déparent, c’est le plus complet qui ait été prononcé jusqu’ici au nom de l’opposition : elle ne trouvera probablement pas grand’chose à y ajouter. En tout cas, les orateurs venus après lui ne l’ont pas trouvé. Si on compare les discours prononcés pour ou contre la loi, l’avantage reste certainement aux premiers. Le président de la Commission de l’armée, M. Le Hérissé, a ouvert le débat et, sans aucune prétention oratoire, il a exposé simplement et clairement le système de la loi proposée et les motifs qui Tout rendue indispensable. Après le sien, le discours de M. Joseph Reinach mérite une mention spéciale ; il a été excellent de tous points, fortement documenté et piquant dans une de ses parties. M. Reinach a cité l’opinion d’un historien qui a attribué nos désastres de 1870 à l’insuffisance numérique de notre armée de première ligne ; nos effectifs étaient inférieurs à ceux des Allemands ; de là notre défaite qui, en dépit des efforts héroïques que nous avons faits depuis, est restée irrémédiable. Grande leçon que nous ne saurions trop méditer ! Et par qui nous est-elle donnée ? Par le plus imprévu des conseillers, M. Jaurès lui-même ! La Chambre s’est quelque peu égayée de cette citation, et M. Jaurès a paru en éprouver quelque embarras. Il a couru à la bibliothèque et en est revenu avec de gros livres menaçans dont il a cependant épargné la lecture à la Chambre et il s’est borné à dire que son but était précisément d’empêcher son pays de retomber dans les fautes de l’Empire. C’est pour cela qu’il a déposé un projet d’organisation d’une garde nationale dont le service diminue de durée d’année en année jusqu’à se réduire à quelques semaines. Ce qui a empêché de prendre son projet au tragique, c’est que personne ne l’a pris au sérieux : malheureusement, il tiendra de la place dans la discussion.

On a cru d’abord qu’après les discours de MM. Le Hérissé et Joseph Reinach, il ne restait plus rien à dire en faveur de la loi ; un nouvel orateur a pourtant produit sur la Chambre une grande impression : c’est M. Lefèvre, ancien sous-secrétaire d’État dans une combinaison ministérielle antérieure, mais qui, bien qu’il ait eu quelques succès de tribune, n’avait pas encore donné toute sa mesure. Cette fois, son succès a été complet ; la grande majorité de la Chambre l’a couvert