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s’étaient trompés. Ils n’ont, ont-ils dit, aucune prétention à l’infaillibilité : quand ils ont commis une erreur et qu’on la leur signale, ils s’empressent de la réparer. Mais c’est précisément parce qu’ils ne sont pas infaillibles que les ministres doivent entourer leur jugement de certaines règles et qu’il est prudent pour eux de ne pas les transgresser.

Voilà pour la question de personne : il y en a une autre ici, il y a la question de fond. Comment le gouvernement n’a-t-il pas senti tout de suite que le maintien de l’ordre dans la rue a des conditions strictes, au nombre desquelles est l’interdiction d’accrocher aux statues certaines inscriptions ou légendes ? Les statues de nos grands hommes et, entre toutes, celle de Jeanne d’Arc sont faites pour nous unir dans un même sentiment de reconnaissance et de respect : ce but serait manqué le jour où chacun, interprétait l’histoire à sa façon, aurait le droit de déposer à leur pied l’expression de ses rancunes, de ses colères et de ses haines. Ces monumens deviendraient bientôt le centre d’un champ de bataille. Il faut donc interdire toutes les inscriptions. Nous serions avec M. Painlevé si, après en avoir autorisé d’autres, on avait interdit celle de ses amis, mais on les a interdites toutes et, dès lors, personne n’est admis à se plaindre. Supposons, au contraire, qu’on ait pu mettre sur la statue de la place des Pyramides l’inscription : « A Jeanne d’Arc trahie par son roi et brûlée par les prêtres, » comment aurait-on pu empêcher le lendemain le dépôt d’une autre ainsi conçue : « A Jeanne d’Arc outragée par Voltaire ? » Comment aurait-on pu empêcher le dépôt, au pied de la statue de Lavoisier, derrière la Madeleine, de l’inscription suivante : « A Lavoisier, guillotiné par les républicains qui ont déclaré que la République n’avait pas besoin de savans ? » Comment aurait-on pu empêcher que sa statue servît à rappeler que Danton, lui aussi, avait été guillotiné par les républicains, mais que son sang avait ensuite étouffé Robespierre ? Si nos statues servaient à ces évocations venimeuses d’une histoire partielle et partiale, mieux vaudrait les renverser. Nous avons assez de motifs de querelles dans le présent sans aller en chercher dans le passé. Laissons-lui les discordes qui l’ont troublé et ensanglanté pour ne lui emprunter que les grands exemples de courage, d’héroïsme et d’abnégation qui heureusement n’y manquent pas et dont la vie de Jeanne d’Arc est, de tous, le plus complet et le plus sublime.

Nous avons hâte de revenir à la loi militaire dont la Chambre poursuit la discussion. Elle non plus n’a pas été exempte d’incidens : un surtout devait produire et a produit en effet une vive émotion. Parmi les commissaires du gouvernement, le général Pau jouit dans