Page:Revue des Deux Mondes - 1913 - tome 15.djvu/954

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Un incident sans grande importance en lui-même a failli plus mal tourner. Depuis quelque temps, on manifeste beaucoup à Paris à propos de Jeanne d’Arc. Il y a quelques jours toute la ville était en fête. Les rues étaient pavoisées ; les balcons, les fenêtres étaient ornés de drapeaux tricolores et d’étendards blancs et bleus ; les statues de notre grande et pure héroïne nationale disparaissaient sous les fleurs. Il y avait eu place pour tout le monde dans ces manifestations auxquelles chacun avait pu prendre part à sa manière et il en était résulté comme un symbole de concorde et d’union. N’est-ce pas ainsi que doit être célébrée Jeanne d’Arc ? N’appartient-elle pas à tous les Français indistinctement ? Mais tel n’est pas le sentiment d’une poignée de radicaux et de libres penseurs ; ils ne sauraient tolérer que leur manifestation à eux disparaisse au milieu des autres et y soit comme fondue ou noyée ; ils ont voulu avoir un jour qui leur appartînt exclusivement. Nous n’y aurions pas vu, au total, grand inconvénient, s’ils s’étaient contentés d’exhiber des couronnes à leurs couleurs sans y rien joindre qui ressemblât à une provocation ; malheureusement, cette réserve ne convenait pas à leur dessein qui était, moins d’honorer Jeanne d’Arc, que de l’exploiter. En conséquence, ils avaient entouré leur couronne d’une inscription qui rappelait ou qui affirmait que Jeanne avait été trahie par son roi et brûlée par les prêtres. La scène se passait place des Pyramides, devant la belle statue dorée qui est un des chefs-d’œuvre de Frémiet. Un agent de police est intervenu et a déclaré que, conformément à ses instructions, il ne pouvait pas autoriser le dépôt d’une couronne portant une légende. Les manifestans ont protesté, l’agent de police a insisté, et le lendemain une question a été posée an gouvernement à la Chambre. M. Painlevé lui a demandé, avec une indignation qu’il avait de la peine à contenir, s’il serait désormais interdit de faire dans les rues de Paris des manifestations républicaines et laïques. Comment le gouvernement, qui avait montré plus de sang-froid dans d’autres circonstances, en a-t-il eu si peu dans celle-ci ? La réponse qu’il avait à faire était des plus simples : c’est que, si d’autres manifestations étaient autorisées, les inscriptions, quelle qu’en fût d’ailleurs la nature, étaient interdites sur la voie publique. Cette règle ne pouvait vexer personne, puisqu’elle s’appliquait à tout le monde ; elle était d’ailleurs depuis longtemps déjà établie et observée et on ne pouvait pas la faire fléchir au profit d’une catégorie de citoyens, sans leur accorder un véritable privilège. Au lieu de le dire, le gouvernement, intimidé sans qu’on sache pourquoi, a cherché un bouc émissaire, l’a