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de l’avenir. On ne saurait trop remarquer le fait que, du jour au lendemain, avec une unanimité significative, les journaux autrichiens et italiens ont dit que la question de Scutari perdait de son importance et passait au second plan. Qu’y avait-il donc au premier ? La question d’Albanie ! Dans ce pays qui, conformément aux volontés de l’Europe et à celles de l’Autriche elle-même, devait rester indépendant, l’Autriche et l’Italie traçaient à larges traits les limites de leurs zones d’influence respectives. Personne ne s’y est trompé : tout le monde a eu l’impression que, si l’Italie et l’Autriche allaient en Albanie, il y avait beaucoup de chances pour qu’elles y restassent. Le prétexte nouveau qu’elles donnaient à leur intervention était la nécessité de rétablir l’ordre. Il était gravement troublé par la présence d’Essad et de Djavid pacha, l’un et l’autre à la tête d’armées imposantes, l’un et l’autre ambitieux et, disait-on, sans scrupules. On devait faire cesser ce scandale. Entreprise difficile et de longue haleine, qu’il faudrait longtemps pour mener à bonne fin : mais, coûte que coûte, l’Autriche et l’Italie y pourvoiraient. Que devenaient les assurances de désintéressement territorial que toutes les Puissances avaient échangées au début de la guerre balkanique ? Que devenait le concert européen que la Réunion des ambassadeurs à Londres avait, avec tant d’ingéniosité et de fermeté, maintenu jusqu’à ce moment ?

L’émotion a été vive : elle n’a pas tardé à gagner Vienne et Rome elles-mêmes. L’avenir était trop obscur pour n’être pas inquiétant. On a fait à Vienne des réflexions rapides et sensées dont le résultat a été que l’Autriche aurait préféré aller à Scutari avec toutes les Puissances ; mais celles de la Triple Entente persistaient à croire à l’efficacité des moyens diplomatiques et, alors, aller seule à Scutari, tandis que l’Italie irait seule à Valona, était une opération qui comportait comme conséquences des aléas redoutables. Incontestablement, de l’Autriche et de l’Italie, c’était la seconde qui aurait lieu d’être le plus satisfaite de son lot. Établie à Valona et à supposer qu’elle y restât, elle serait maîtresse de l’Adriatique au Nord de laquelle la flotte autrichienne serait, suivant une expression devenue à la mode, « embouteillée. » Était-il sage de s’y exposer ? Quant à l’Italie, nous avons dit qu’elle a une armée en Afrique et ne songe pas à l’en rappeler tout de suite. Avant de s’engager dans une seconde entreprise, elle voudrait avoir le temps de terminer la première. Enfin sa perspicacité porte loin et elle a certainement aperçu, dans les éventualités que pouvait provoquer une double intervention en Albanie, des complications probables dont l’issue était incertaine. Si l’Autriche agissait,