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un nouveau, sans raison impérieuse, et même tout à fait gratuitement ? Espérons que le gouvernement autrichien ne poussera pas les choses à l’extrême. Tout en reconnaissant le bon droit de ses revendications, parce que nous reconnaissions le caractère sérieux de ses intérêts, nous avons plus d’une fois regretté quelques-uns de ses procédés. Il aurait certainement pu ménager davantage les susceptibilités des races slaves et, si sa générosité ne s’étendait pas sur toutes, en favoriser du moins quelques-unes de manière à ne pas provoquer une coalition générale contre lui. Le Monténégro est peu de chose, mais qui sait s’il ne comptera pas demain autant que l’Albanie ? Il ne faut pas remonter bien haut dans l’histoire pour trouver la Serbie et lui à l’état d’hostilité réciproque, intime et profonde. La mànière dont on le traite ou dont on menace de le traiter rejettera inévitablement le Monténégro du côté de la Serbie : est-ce là l’intérêt de l’Autriche ? Nous n’ignorons pas les réponses qu’on peut faire ; il y a des objections à tout ; mais cela même prouve qu’il n’y a rien d’absolu et que les affaires humaines sont toujours matière à transaction. Les événemens d’hier nous montrent que, dans le domaine des nationalités, rien ne meurt, rien n’est définitivement écrasé ou étouffé. Le plus sage est, par conséquent, de tout respecter. On peut fonder provisoirement sa grandeur sur l’immolation d’autrui, mais, sur cette base fragile, on ne fonde pas sa sécurité.

Ce sont là des considérations générales : gardons-nous d’en tirer des applications particulières trop précises. Dans les premiers temps de la guerre, après les premiers succès des peuples balkaniques, on a pu craindre que l’Europe, dérangée brusquement de ses vieilles habitudes, ne tînt pas un compte suffisant des faits acquis, et nous avons été de ceux qui lui ont conseillé d’en prendre définitivement son parti. Mais, certes, elle l’a fait et, si l’on peut lui adresser un reproche, ce n’est pas celui de s’être révoltée contre les événemens ; elle les a acceptés, au contraire, sagement et généreusement ; l’Autriche elle-même en a donné des exemples frappans. Les exigences de l’Europe ont été peu nombreuses, elles se sont réduites à peu près à rien, puisque c’est seulement au sujet de Scutari qu’elles ont pris finalement une forme impérative. L’Europe n’a pas exprimé d’autre volonté que celle-là : pour le reste, elle a donné des conseils, encore l’a-t-elle fait avec une grande réserve, et son intervention a-t-elle le plus souvent consisté à offrir ses bons offices qui n’ont jamais été acceptés que conditionnellement. Loin d’abuser de sa force, l’Europe n’a même pas usé de l’autorité qu’elle aurait pu y