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à Dieu. C’est à ce danger que la Réunion des ambassadeurs s’est donné pour tâche d’obvier. Elle a tout subordonné à cette vue générale, pendant que l’opinion européenne, émue, suggestionnée dans les dilîérens pays par les événemens de chaque jour, généreuse sans doute, mais imprudente, s’abandonnait à la vivacité à la mobilité de ses impressions. Le conflit redouté aurait éclaté dix fois si la Réunion des ambassadeurs avait fait de même : le représentant de l’une des Puissances se serait levé aussitôt et aurait pris la porte. Les ambassadeurs ont montré, pour l’empêcher, une remarquable persévérance, une patience inlassable, une grande souplesse qui leur a permis de faire face aux incidens les plus imprévus et parfois les plus déconcertans. Ils n’ont pas pu les empêcher de se produire, mais ils les ont empêchés de produire leurs conséquences extrêmes, et le fait seul qu’ils ont continué de se réunir sans qu’aucun manquât à l’appel, qu’ils ont conservé le contact entre eux, et, par conséquent, entre leurs gouvernemens, est le meilleur service qui pouvait être rendu à la paix générale. Il a fallu pour cela se plier à des concessions réciproques, régler son pas sur celui d’autrui, s’arrêter, revenir en arrière. Nous avons fait, et les autres aussi, des choses que nous n’aurions sûrement pas faites, ni eux non plus, si nous avions pu agir seuls : mais c’est surtout dans la politique internationale qu’on doit dire aujourd’hui : Væ soli ! Finalement, et au moins jusqu’à ce jour, le but a été atteint : l’accord a été sauvé. Telle a été l’œuvre de la Réunion des ambassadeurs à Londres, modeste dans la forme parce qu’aucun n’a essayé de l’emporter sur les autres, très sérieuse dans le fond, et enfin de compte efficace, puisqu’il s’agissait de maintenir une entente bien souvent vacillante et qu’elle a été maintenue.

Nous avons parlé souvent de l’Autriche, parce qu’elle est, de toutes les Puissances, la plus intéressée aux affaires des Balkans. Nos lecteurs savent quelle a été sa politique : il est inutile de la discuter, il faut la prendre comme un fait. A tort ou à raison, l’Autriche a estimé qu’il y avait lieu de faire contrepoids à la puissance slave démesurément grossie au moyen de l’Albanie. On a dit, nous avons dit nous-même, que c’était une création politique bien artificielle que l’Albanie, qu’on aurait beaucoup de peine à constituer, à unifier, à faire vivre et d’où naîtraient dans l’avenir beaucoup de difficultés ; mais nous sommes dans le présent et il était d’autant plus impossible de refuser en principe à l’Autriche la constitution d’une Albanie indépendante, que l’Albanie existe, qu’elle est habitée par une race particulière, malheureusement divisée en clans divers et souvent hostiles