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sir Edward Grey a démontré avec beaucoup de force qu’elle ne l’était nullement. Quel a été l’objet avoué de la guerre déclarée par les alliés balkaniques à la Porte il y a six mois ? C’était de délivrer leurs frères de race courbés depuis plusieurs siècles sous le poids du joug ottoman. Guerre de libération à l’origine, l’entreprise a cessé de l’être depuis que les défaites de la Porte ont affranchi toute la Macédoine, la Thessalie et l’Épire, et elle ne l’a jamais été en Albanie : elle ne l’y a été du moins que d’une manière très partielle et seulement par endroits. Pour ce qui est de Scutari, c’est une ville incontestablement albanaise, et il importe peu de savoir si elle l’a toujours été à travers les siècles. Toutes les parties des Balkans ont appartenu autrefois à des dominations successives, au point qu’on ne peut ressusciter tous ces droits du passé sans les mettre en conflit les uns avec les autres. Si l’histoire aide à résoudre certaines difficultés, elle risque d’en créer d’autres. Au surplus, le présent aussi a ses droits et ceux de Scutari à rester ville albanaise sont incontestables. « Les Albanais, a dit sir Edward Grey avec sa netteté d’esprit habituelle, sont séparés de leurs voisins par des différences de race, de langage et, dans une grande mesure, de religion. La guerre actuelle a cessé d’être depuis longtemps une guerre de délivrance : les opérations du Monténégro contre Scutari font partie d’une guerre de conquête. Il n’y a aucune raison pour que la sympathie que nous avons éprouvée pour le Monténégro et les autres pays qui combattent pour la liberté et l’existence nationale ne se porte pas sur la population albanaise de Scutari et de son voisinage, qui est principalement catholique et musulmane et qui lutte pour son existence, son territoire, sa religion. Par ces motifs, la Grande-Bretagne n’hésite pas à être partie à l’accord des Puissances relativement à l’Albanie... Cet accord laisse une grande étendue de territoire à partager entre la Serbie et le Monténégro comme fruits de leur victoire... La Grande-Bretagne n’a aucun intérêt direct dans la modalité de cet accord et, selon toutes les probabilités, elle ne verrait aucune objection à un accord quelconque qui aurait le consentement des Puissances plus intéressées qu’elle ne l’est. C’est parce que nous croyons que cet accord, dans ses grandes lignes, s’inspire des idées d’humanité, de liberté et de justice et parce que nous envisageons que la paix de l’Europe exige le maintien de l’entente entre les Puissances, que nous avons regardé l’arrangement comme juste. Nous avons en conséquence accepté l’obligation d’honneur de participer à l’action internationale qui se développe actuellement et de la faire respecter. » Si nous avons fait cette longue