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les autres, mais elle est engagée si à fond dans les affaires orientales qu’il ne peut rien s’y passer d’important sans qu’elle n’en éprouve le contre-coup. Dans ce champ immense se joue en effet, ou se prépare une partie redoutable qui mettra, ou plutôt qui met déjà deux mondes en opposition en attendant qu’elle les mette en conflit : le monde germanique et le monde slave. Qu’une grande histoire soit là en formation, rien n’est plus certain, et que l’Allemagne envisage cette perspective avec une attention sérieuse, grave, anxieuse même, comment s’en étonner ? L’Autriche, composée de races diverses, mi-partie germanique, mi-partie slave, est regardée par l’Allemagne comme son avant-garde en Orient, et elle l’est en effet : de là vient l’intérêt si grand, si ardent, si sincère qu’elle lui témoigne. Ce n’est pas une alliance politique ordinaire qui existe entre les deux pays : leurs intérêts d’avenir sont solidaires dans les conditions les plus étroites et rien n’explique mieux les manifestations que multiplie la politique allemande en faveur de la politique autrichienne, manifestations qui se renouvellent à toute occasion. Bien loin d’atténuer la communauté d’intérêts des deux Empires, le chancelier allemand s’est appliqué à en accentuer l’importance que les derniers événemens ont encore augmentée. « Si jamais, a-t-il dit, se produisait une conflagration européenne qui mît face à face les Slaves et les Germains, il serait pour nous désavantageux que la place occupée autrefois par la Turquie d’Europe dans l’équilibre des forces fût prise désormais en partie par des États slaves. Cette modification de la situation militaire et politique s’est préparée sur le continent. Maintenant qu’elle est accomplie, nous agirions inconsidérément si nous ne tirions pas de ce fait ses conséquences. » Après avoir dit cela, il importe peu que le chancelier allemand ait ajouté, et qu’il se soit même cru obligé de répéter le lendemain qu’il ne considérait pas comme fatal le choc entre Germains et Slaves : il suffit qu’il en ait indiqué le danger éventuel pour avoir ouvert aux imaginations des perspectives presque indéfinies et à coup sûr inquiétantes.

L’effet produit en Autriche par son discours a été bon et ne pouvait pas manquer de l’être : qui sait pourtant s’il n’a pas produit tout au fond des esprits quelque trouble inavoué ? L’Allemagne donnera, s’il le faut, à l’Autriche, c’est entendu, le concours de toutes ses forces, aussi bien militaires que politiques, mais la crise n’en sera pas moins angoissante. Un orateur socialiste, M. Scheidemann, en a évoqué, non sans force, le fantôme devant le Reichstag. « On doit, a-t-il dit, s’arracher les cheveux à Vienne à propos du discours du chancelier.