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si on nous l’impose. Nous dirons, nous aussi, comme l’Allemagne, que nous n’attaquerons jamais les premiers ; mais on sait combien il est quelquefois difficile de discerner avec certitude quel est l’auteur responsable d’une guerre, de celui qui la déclare ou de celui qui l’a rendue nécessaire. L’histoire, après coup, éclaire la question qui est restée confuse aux yeux des contemporains; et, par exemple, personne ne peut contester aujourd’hui que, si nous avons déclaré la guerre en 1870, ce n’est pas nous qui l’avons voulue et provoquée. Depuis, la paix a été maintenue, grâce à la sagesse de l’Allemagne et à la nôtre; mais à la nôtre, il a fallu plus d’une fois ajouter quelque patience. Si l’Allemagne n’a pas abusé de sa force, elle n’a négligé aucune occasion de la faire durement sentir et de la jeter dans la balance comme un poids décisif et déterminant. M. de Bethmann-Hollweg a déclaré dans son discours que l’Allemagne ne voulait pas la guerre, mais que, si la guerre éclatait, elle voulait vaincre. Ce n’est pas assez dire : l’Allemagne a voulu vaincre, même sans guerre. Tranchons le mot : elle a imposé au monde son hégémonie par l’intimidation. De là est venue pour nous, et pour d’autres aussi, la nécessité de contracter des alliances ou d’opérer des rapprochemens en vue de rétablir en Europe un équilibre indispensable à sa sécurité et à sa dignité. Il y a donc, dans toute cette partie du discours du chancelier impérial, des énonciations qui appellent des réserves et même quelque chose de plus. Le réveil d’opinion qui s’est produit chez nous ne mérite pas d’être qualifié de « chauvinisme. » C’est un fait normal, qui n’est inquiétant pour personne. M. de Bethmann-HIollweg s’est laissé aller jusqu’à dire que la France avait déjà « l’illusion d’avoir gagné la bataille. » Le mot est regrettable ; rien ne le justifie, rien même ne l’excuse. Mais ce n’est pas sur un mot qu’il faut juger tout un discours.

M. de Bethmann-Hollweg n’a pas montré moins de préoccupations du côté de la Russie que du nôtre : les événemens d’Orient lui en ont fourni les motifs. Il a d’ailleurs caractérisé les conséquences de ces événemens avec justesse lorsqu’il a dit qu’« à la place de la Turquie d’Europe, dont la vie était passive, existaient aujourd’hui des États qui venaient de faire preuve d’une intensité de vie extraordinaire. » La Turquie était passive en effet; les États qui la remplacent sont au contraire très actifs, et de ce changement est résultée une situation qui devait produire des impressions différentes, moins fortes chez les puissances occidentales, plus fortes chez celles qui sont plus voisines de l’Orient. L’Allemagne est placée entre les unes et