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nos parlementaires ont fait silencieusement, depuis quelques mois, leur examen de conscience et quelques-unes de leurs illusions d’autrefois se sont dissipées. Ils ont leur amour-propre qu’il faut ménager et qu’on ménage soigneusement, mais, dans le secret de leur âme, quelque chose leur dit tout bas qu’ils se sont trompés. On leur assure qu’ils ont eu raison de faire, en 1905, le service de deux ans parce que l’état militaire de l’Allemagne le permettait alors, mais on ajoute que, les circonstances étant changées, et, l’Allemagne ayant augmenté ses effectifs dans des proportions redoutables, l’obligation s’impose à eux, aujourd’hui, de revenir à un service de plus longue durée. C’est une manière de raisonner toute parlementaire, et nous l’approuverons fort, si elle facilite le vote de la loi ; mais, pour peu qu’on prenne la peine d’en lire l’exposé des motifs, on s’apercevra vite que, si quelques-uns de ces motifs ont un caractère accidentel, la plupart en ont un d’un ordre permanent. L’accident, ici, est dans les armemens de l’Allemagne, qui ont fait de la prolongation de la durée du service en France une obligation immédiate et impérieuse; mais tous les autres motifs invoqués auraient eu la même valeur, qui est très grande, quand même l’Allemagne n’aurait pas fait l’effort gigantesque auquel elle se livre en ce moment. Il n’y a aucune relation nécessaire entre cet effort et le fait, enfin reconnu chez nous et qui l’a toujours été chez nos voisins, qu’on ne peut pas faire en deux ans un cavalier et un artilleur. L’Allemagne n’avait pas encore publié ses projets lorsque M. Millerand préparait les siens et s’apprêtait à demander aux Chambres le service de trois ans pour certaines armes spéciales. Les projets de l’Allemagne, divulgués avec fracas, ne nous ont pas donné des argumens bien nouveaux, ils ont seulement fortifié ceux que nous avions déjà. L’Allemagne, depuis deux ans, a fait, chaque année, une nouvelle loi militaire pour augmenter ses forces; mais, avant même qu’elle les eût faites, nos régimens, nos bataillons, nos escadrons, nos compagnies étaient, comme on dit, réduits à l’état de squelettes, et nos officiers en gémissaient. Ils constataient et ils avouaient que l’instruction militaire de nos recrues en souffrait grandement. Ils se préoccupaient aussi de l’extrême faiblesse où nous nous trouvions au moment du départ d’une classe instruite et de l’arrivée sous les drapeaux d’une classe qui ne savait encore rien du métier. Il y avait là, aux yeux de tous les hommes renseignés, des défauts graves sur lesquels on se taisait parce qu’on n’apercevait pas le moyen d’y porter remède, mais qui n’étaient l’objet d’aucune illusion.