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Il y a là un vrai souffle de patriotisme et une réponse à ceux qui ont pu croire la France tombée dans une molle indifférence. À cette réponse, les socialistes en ont fait une autre, on sait laquelle. Ils ont accueilli le dépôt de la loi par des vociférations formidables, ou qu’ils ont du moins essayé de rendre telles. Pendant trois quarts d’heure, les protestations, les cris, les injures, les grossièretés de toutes sortes sont venus de l’extrême gauche avec une violence d’ouragan, d’ailleurs froidement calculée. Toute cette mise en scène était réglée d’avance et manquait de spontanéité. Le but des socialistes était d’empêcher M. le ministre de la Guerre de lire le texte du projet. Avons-nous besoin de dire qu’il n’a pas été atteint ? Les socialistes ont pu empêcher M. Étienne d’être bien entendu, mais non pas de poursuivre tranquillement sa lecture jusqu’à ce qu’elle fût terminée. Leur manifestation a été aussi puérile qu’indécente, et, s’ils l’ont crue de nature à leur ramener l’opinion qui leur échappe, ils se sont lourdement trompés. M. Jaurès, qui menait la meute et hurlait avec elle, n’a pas tardé à être personnellement victime du mauvais exemple qu’il avait donné. Étant allé à Nice pour y prononcer un discours contre le service de trois ans, il a été interrompu dès les premiers mots, outrageusement sifflé, mis matériellement dans l’impossibilité de parler. Profitera-t-il de la leçon ? Tout Paris s’est amusé en parcourant, le lendemain, le récit de l'Humanité, qui est le journal de M. Jaurès. Il faut croire que le compte rendu avait été fait avant l’événement, car on y lisait que M. Jaurès avait été acclamé à Nice et qu’il y avait provoqué un admirable enthousiasme. Fit-il pas mieux que de se plaindre ? Quoi qu’il en soit, et que sa parole ait été étouffée sous les acclamations ou sous les huées, M. Jaurès n’a pas pu prononcer sa harangue. Approuvons-nous ces procédés? Non certes, mais la violence appelle la violence, et M. Jaurès serait mal fondé à se plaindre puisqu’on ne lui a fait que ce qu’il avait lui-même fait aux autres. Patere legem quam ipse fecisti. Bien qu’il soit difficile d’être plus éloigné de nous que ne l’est M. Jaurès, ce n’est pas sans tristesse, ni sans pitié, que nous voyons un homme d’une aussi haute culture et d’un aussi réel talent tomber au niveau d’un agitateur de carrefour. Il n’a jamais eu le sens du patriotisme et lorsque ce sens est oblitéré, les autres s’en ressentent. Les socialistes unifiés sont aujourd’hui aussi en révolte contre le sentiment français. Mais leur parti en est pris et, au moment où s’ouvre à la Chambre la discussion du service de trois ans, il faut s’attendre à des séances terriblement agitées. La majorité n’en sera pas ébranlée.

La majorité, en effet, ne nous semble pas douteuse. Beaucoup de