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là, de culture moyenne, supérieure même, et de profession quelconque : homme d'affaires, ou de lettres, ou de science, musicien, non de métier, mais de goût seulement et de désir, croyez-vous qu’il vienne chercher et qu'il trouve dans Fervaal,' après le labeur quotidien, le délassement, la détente, et surtout, — bienfait par excellence de la souveraine beauté, — un surcroît intérieur d'activité, de vie et de joie ! « La libre joie ! » À mainte reprise, lehéros de Crayann l'invoque et la glorifie ; il nous la dispense trop rarement, et voilà pourquoi, devant une œuvre comme Fervaal, nous nous inclinons avec plus de respect et d'admiration que de sympathie et d'amour.

Nous n'avons entendu qu'une des deux interprètes qui chantèrent le rôle de Guilhen. Cela suffit pour que nous préférions l'autre. Il a paru que, dans le rôle d'Arfagard, la voix de M. Delmas n'était pas près de tomber, ni son ardeur de s'éteindre. Et depuis l'inoubliable M. Jean de Reszké, M. Muratore (Fervaal) est décidément le seul ténor dont la voix, le chant et l'action nous fassent un grand, toujours plus grand plaisir.


Fervaal, toujours eu d'heureux antécédens. Par où nous voulons dire ceci : joué d'abord (à Bruxelles) peu de temps après la première représentation à Paris du Messidor de M. Bruneau, Fervaal repris vient de succéder à la Sorcière de M. Camille Erlanger. Et ce double voisinage a prouvé, tout de suite et jusqu'à l'évidence, qu'entre l'un des trois ouvrages et les deux autres il n'y a pas de commune mesure. Cette musique et cette musique ne sont pas du même ordre.

La Sorcière est l'un des moindres, ou des plus gros mélodrames qu'ait jamais fabriqués la main, souvent plus légère, de Victorien Sardou. Cela représente sommairement les amours d'un jeune seigneur espagnol, don Enrique, avec une certaine Zoraya, Mauresque, adonnée à la pratique, illégale autant qu'innocente, bienfaisante même, d'une médecine où le magnétisme paraît avoir la plus grande part. Lieu de l'action : Tolède, au temps du fanatisme et des bûchers. Pour des raisons de convenance, d'État peut-être, Enrique se voit contraint à l'hymen d'une fille de son rang. Ce qu'ayant appris, Zoraya s'introduit le soir dans la chambre nuptiale et, par son art magique, endort la mariée d'un profond et durable sommeil. Fuite des deux amans, après meurtre préalable d'un sbire survenu mal à propos. Prompte arrestation des coupables et comparution devant le tribunal du Saint-Office, que préside le cardinal Ximénès en personne (tableau naturellement animé par l'esprit du plus pur anticléricalisme). Pour sauver