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moyens de diminuer la valeur de l’argument, en décidant que les îles seront neutralisées entre les mains de la puissance qui les occupera, la Grèce évidemment ; qu’on ne pourra y élever aucune fortification et qu’elles ne serviront jamais de base militaire. Ces îles, à en juger d’après les populations qui les habitent, ne sont pas turques, elles sont grecques ; elles le sont au même titre que la Crète et, si elles restent entre les mains ottomanes, on verra s’y renouveler et s’y multiplier de nouvelles questions crétoises qui seront un embarras pour l’Europe et entretiendront entre la Grèce et la Turquie une hostilité permanente. Les Puissances de la Triple-Entente se placent à ce dernier point de vue ; mais celles de la Triple-Alliance se placent au premier, et il ne sera peut-être pas facile de trouver une combinaison qui concilie tout. Quant aux îles, au nombre de quatre ou cinq, qui sont dans la région des Dardanelles, la Porte les revendique aussi sous prétexte qu’elles importent à la défense du détroit : puisqu’on lui laisse le détroit, il faut lui laisser les îles, c’est toujours le même argument. Peut-être se fait-on, de part et d’autre, des illusions sur la valeur militaire de ces îles, mais il y a là, évidemment, une question sur laquelle on peut transiger, et pour laquelle il ne vaut pas la peine qu’on mette en cause la tranquillité générale. On transigera sans doute encore sur d’autres points plus importans, la transaction étant l’âme des négociations et des solutions de ce genre. C’est peut-être regrettable parce que, par là, on ne résout rien d’une manière définitive et qu’on sacrifie, en quelque mesure, la sécurité de l’avenir au repos du présent ; mais le présent a des droits, lui aussi, et la liquidation à faire est si grande, si laborieuse, si dangereuse, qu’on est excusable de ne pas l’opérer en une seule fois. Avant tout, il faut obtenir l’accord de l’Europe, ce qui ne se fera pas sans des concessions réciproques. Cet accord est indispensable pour que la médiation ait toute la somme d’autorité possible et nous nous demandons même, avec une incertitude, une anxiété qui augmentent chaque jour, si toute cette somme sera suffisante. L’opinion publique, très surexcitée à Constantinople, ne s’apaisera, si elle doit s’apaiser, que devant une Europe unie. Le problème, aujourd’hui, est donc d’assurer l’union de l’Europe, quelles que soient les conditions qu’il faille accepter pour cela : car si, après ce qu’on a appelé la faillite de la Conférence de la paix, venait celle de la Commission des ambassadeurs, c’est-à-dire de l’Europe elle-même, la voie serait ouverte aux pires aventures.

L’union de l’Europe est d’autant plus indispensable que, après cette première épreuve, d’autres viendront qui ne seront pas moindres :