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précisément ce qu’on leur refuse. L’Alsace, qui se sent toujours traitée en mineure, ne s’y habitue pas, et toutes les concessions qu’on lui fait petitement, par calcul étroit, sans générosité et sans confiance, ne l’amènent qu’à dire : Ce n’est pas cela que nous demandons. C’est pourquoi le malentendu subsiste, le désaccord s’accentue et on s’étonne à Berlin que les générations nouvelles ne soient pas plus germanisées que les anciennes : il parait même qu’elles le sont moins. L’incompatibilité d’humeur engendre la mauvaise humeur ; elle existe de part et d’autre et l’Empereur a exprimé la sienne à sa manière, sans attacher sans doute à sa parole la portée qu’elle aurait si on s’en tenait au sens littéral des mots. Changer la constitution de l’Alsace est une affaire d’Empire, qui dépend de tous les États confédérés, et il est probable, ou plutôt certain, que ces États accepteraient difficilement que la province fût incorporée à la Prusse : l’équilibre de la Confédération elle-même en serait changé. L’Empereur le sait fort bien. Il est à croire aussi que l’expression a mal rendu sa pensée lorsqu’il a présenté comme un châtiment le fait d’être incorporé à la Prusse et qu’il a menacé les Alsaciens, après s’être montré à eux du bon côté, de se montrer du mauvais. Ce discours devait produire quelque émotion dans l’Empire et n’était pas de nature à flatter l’amour-propre prussien.

Mais ce n’était pas là un discours public, et sa publication n’avait été autorisée ni par l’Empereur ni par son gouvernement, ce qui le différencie de l’interview qui, il y a quatre ans, a fait tant de bruit lorsqu’elle a paru dans le Daily Telegraph. Le journal Le Matin se l’est procuré par ses moyens propres ; il l’a reproduit et on a attendu quelques jours pour voir si l’exactitude en serait ou non démentie. Elle ne l’a pas été, soit parce qu’elle ne pouvait pas l’être, soit parce qu’on a préféré accepter les conséquences de l’incident dans l’espoir qu’elles ne seraient pas très redoutables devant le Parlement : effectivement, elles ne l’ont pas été. Le Reichstag a décidé, il y a quelques jours, au moyen d’une modification de son règlement, que ses membres pourraient adresser des questions au chancelier ; mais le chancelier y fait les réponses qu’il veut et le débat reste sans sanction. Il aurait pu cependant créer quelque embarras au gouvernement, si la violence sans mesure avec laquelle les socialistes l’ont engagé et soutenu n’avait pas rendu la tâche de M. de Bethmann-Hollweg plus facile : il s’en est d’ailleurs acquitté habilement. L’attaque principale ayant été dirigée contre l’Empereur, c’est à la défense de l’Empereur qu’on l’attendait. Quelle serait son attitude ? On se rappelle celle de M. de