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mélodie, et soi-disant infinie, qui sans relâche et sans pitié nous emporte. « Ainsi, toujours poussés vers de nouveaux rivages... «  Après le poète d’autrefois, le musicien de notre siècle pourrait se plaindre de la sorte. Il trouvera du moins dans le second acte de la Lépreuse où « jeter l’ancre » un moment, où se prendre, se reprendre et respirer. Le silence, voyez-vous, n’est peut-être pas un élément de la musique moins essentiel que le son. Il n’en est pas de plus négligé. Félicitons M. Lazzari d’avoir compris que, sous un nom modeste, la ponctuation, fût-ce en musique, n’est pas seulement affaire de grammaire, mais d’ordonnance et de composition.

Aussi bien, dans le second acte et dans le premier (le troisième traîne et se traîne en de monotones doléances), le rapport est généralement juste entre la musique de théâtre et la pure musique. L’action ne craint pas de céder la place à des épisodes, à des effusions de lyrisme où le sentiment se donne carrière. Le sentiment, c’est là qu’il faut toujours, en musique, arriver ou revenir. C’est là que toujours nous attendons un musicien et que le musicien de la Lépreuse, en plus d’un passage, n’a pas trompé notre éternelle attente. Sa musique, à mainte reprise, est émue et nous émeut ; on la qualifierait volontiers de sympathique, s’il était possible de rendre à ce mot affadi sa force primitive et sa profonde signification. La vie, une vie passionnée, anime telle ou telle scène, et d’abord le premier acte presque tout entier, jusqu’à la sonnerie finale, et banale aussi, des cloches. Le carillon, soit dit en passant, est l’un des effets, avec l’orage et quelques autres encore, dont il faut désormais se défier, sinon s’abstenir. Mais le reste de l’acte, encore une fois, est vivant et pathétique. On citerait, dans le rôle d’Ervoanik, dans celui d’Aliette, des accens, des éclats de jeunesse et d’amour, sincères chez lui toujours, et, chez elle, mêlés, — oh ! vaguement, et c’est fort bien ainsi — de je ne sais quelle dureté cachée et comme de présages funestes. On dit, familièrement, de certaines œuvres : « Il y a là des coins. » Et ce n’est pas beaucoup dire. Mais quand il y a davantage et que les grands espaces ne sont pas vides, j’aime qu’entre « les endroits forts, » pour parler avec le président de Brosses, les coins mêmes ne soient pas dépourvus d’intérêt, d’agrément, quelquefois de mystère. On trouve tout cela dans certains « coins » de la Lépreuse, que la lecture surtout fait découvrir. Une phrase, un mot, un accord de l’orchestre, une inflexion de la voix suffit à créer, çà et là, non pas un « milieu, » mais au contraire un entourage, une atmosphère tout imprégnée de sensibilité et d’émotion. « Écoutez, Matelinn. » dit au fermier