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imposante et massive ; voici Garrick, le grand acteur, et Laurence Sterne, l’auteur de Tristram Shandy, du Voyage sentimental, le « Rabelais anglais, » long, maigre, dégingandé et franc original ; surtout, voilà Mozart, âgé de sept ans, saisissant profil enfantin, au front puissant, au regard attentif et réfléchi, pris au clavecin chez la comtesse de Tesse, entre son père Léopold et sa sœur Marie-Anne, durant la « saison » qu’ils vinrent donner à Paris.

Nous savons à quel point Carmontelle était un peintre sincère et sa vision combien fidèle. Le témoignage de Lédans vient ici confirmer les assertions de Grimm. « Il est impossible, dit-il, d’avoir une conservation plus précise de la personne elle-même. On les voit, on leur parle, on est avec eux. Cela est sans prix pour qui sait vivre dans le passé. »

Cela est sans prix, en effet. Sans le soupçonner, Carmontelle travaillait pour la postérité, à laquelle il apporte d’inestimables documens. Certains de ses croquis sont une révélation.

Nous connaissons aussi comment il procédait ; son portrait par lui-même nous l’apprend. L’après-dînée, si l’on ne répète pas, durant que parfilent à rage, selon les exigences de la mode, tant de belles en grand corps, que le pharaon ou le biribi vont leur train, le lecteur de M. de Chartres se met à l’œuvre. Son modèle est là, devant lui. Il note ses habitudes de corps, ses attitudes coutumières. Maintenant, de la main gauche, la feuille sur laquelle il travaille, il tient de la droite un porte-crayon emmanché de sanguine et de graphite. Avec le crayon rouge, il modèle les chairs, le visage et les mains ; avec le noir, il figure les vêtemens. À portée de sa main, un verre d’eau, une boîte d’aquarelle et des gouaches pour aviver, au besoin, son dessin par quelques rehauts de couleurs. La séance dure en général une heure et ne dépasse jamais deux.

Évidemment, un critique d’art sévère relèverait dans ces figurines bien des incorrections, force erreurs ou négligences de trait ; ces éternels profils sont monotones, les proportions ne sont pas toujours rigoureusement observées, les membres, parfois, s’attachent mal et, sous les vêtemens qui les couvrent, les corps souvent manquent de solidité. D’accord, et pourtant certains de ces portraits très poussés, ceux notamment de Mme du Tartre, de Sterne, de la comtesse de Pons Saint-Maurice, témoignent que ces défauts sont moins imputables à l’insuffisance