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durement expié d’être « le Sachem du romantisme. » Le romantisme, voilà l’ennemi, pour l’école qui se dit monarchiste par positivisme. En vain vous observerez qu’il est peut-être d’un « nationalisme » douteux de « tomber » le seul écrivain que la France du XIXe siècle puisse mettre en parallèle avec Gœthe. « Tarte à la crème, marquis, tarte à la crème I » Le romantisme, marquis, sus au romantisme ! M. Jules Lemaître a trop bien suivi le mot d’ordre. Ce délicieux « impressionniste, » ce lettré d’un flair si subtil, — emmetæ naris, — ce moraliste pénétrant n’est, j’en ai peur, à aucun degré, un historien... »

— Que de choses vous oubliez, mon cher ami, ai-je répondu, arrêtant là la diatribe de mon Alceste ! D’abord, quelle erreur est la vôtre de parler des « ricanemens » de M. Lemaître ! Il rit, il sourit volontiers ; il s’amuse quelquefois à jouer au gavroche ; il ne ricane, sachez-le, jamais. Et puis, ce n’est pas d’hier que nous savons qu’il n’est pas un romantique. Pour courir sus au romantisme, il n’avait nul besoin d’obéir à un mot d’ordre : il n’avait qu’à suivre sa pente natale, son instinct secret de Tourangeau, les directions de son éducation classique. Comme Sainte-Beuve, il s’est un moment mépris sur sa vraie nature ; comme Sainte-Beuve, il a eu sa période romantique, et de là lui vient sans doute son impressionnisme, son subjectivisme, si vous aimez mieux, son goût des confessions, son habitude des confidences personnelles. Mais comme Sainte-Beuve enfin, il est essentiellement l’homme des « coteaux modérés : » les grands éclats d’imagination ou de passion, les ardentes explosions de lyrisme ne sont point son fait ; « le bon sens libre et railleur, » — et volontiers narquois, — la finesse de pensée et la délicatesse de sentiment, voilà son vrai domaine. Il y a un mot de lui qui m’a toujours frappé : il félicite quelque part le Sévère de Corneille d’être « un doux philosophe pyrrhonien qui ne prend point la vie avec emphase. » Je n’examine pas si ce que l’on appelle emphase ne s’appellerait point parfois tout aussi bien, et peut-être mieux, éloquence et grandeur. Mais le mot ne vous paraît-il pas un de ces « mots déterminans » dont parle Pascal ? M. Jules Lemaître, — même dans sa carrière politique, — n’a jamais pris la vie avec emphase, et, — sauf de très rares exceptions, — il n’a jamais pardonné aux romantiques de ne lui avoir point donné cet exemple. de même, vous paraissez vous étonner et vous plaindre que l’auteur des Contemporains