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obstrué par cette idée, celle alors de tous les généraux, qu’une armée combattante est compromise, si elle n’a pas derrière elle une réserve à jeter dans la mêlée au dernier moment, soit pour achever la victoire, soit pour couvrir la retraite. Telle est, ce me semble, la véritable faute tactique de Mac Mahon. Je le dis timidement, car il faut toujours en fin de compte en revenir à l’observation du général Derrécagaix : « Seul, le chef d’une armée a qualité pour juger une situation aussi délicate. »

L’artillerie a eu certainement une part décisive dans le succès des Prussiens. Non pas, comme on l’a dit, que la nôtre fût méprisable : elle n’avait pas, il est vrai, la justesse et la portée de l’artillerie prussienne et elle était moins nombreuse, mais elle était plus mobile, d’une excellente qualité et très bien approvisionnée ; entre les mains de ses officiers, véritable élite, et de ses soldats, bien instruits, elle a produit des résultats appréciables quand on a su l’employer à propos. Dès qu’elle a renoncé aux combats d’artillerie à artillerie auxquels elle ne pouvait suffire et qu’elle s’est bornée à préparer ou à soutenir nos contre-attaques, elle a été remarquablement manœuvrière, « employant l’ordre dispersé, chaque batterie agissant pour son propre compte, prenant position ici ou là, rompant le combat à tel moment pour le reprendre à tel autre, se dérobant à tout instant, opérant enfin comme le ferait aujourd’hui une infanterie d’avant-garde très manœuvrière[1]. » Elle eût été bien plus efficace si, dès le début et aux momens décisifs de la lutte, on avait jeté en avant, à côté des batteries divisionnaires, celles tenues en réserve pour couvrir une retraite, dont il était bien plus simple de prévenir la nécessité. Nos pertes n’ont pas été causées par la longue portée de l’obus prussien, mais par le feu à petite distance du fusil à aiguille par lequel les tirailleurs prussiens cachés derrière des abris abattaient les servans des pièces.

Les batteries prussiennes mises en position au début de la bataille au-dessus de Wœrth, ont certainement beaucoup gêné l’offensive de notre infanterie et arrêté ses contre-attaques, mais elles n’ont pas eu d’influence directe sur l’issue finale. Ce sont les batteries établies à Gunstett qui ont déterminé le succès prussien. Sans elles, Lartigue eût brisé le mouvement tournant

  1. Général Bonnal.