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corporel fut de beaucoup le plus noble ; le chambellan était très supérieur au chancelier.

Au camp du Drap d’or, François Ier entre à l’improviste sous la tente d’Henri VIII encore couché ; comme ce prince veut se lever, le roi de France lui dit « qu’il n’aurait point d’autre valet de chambre que lui, et lui chauffa la chemise et la lui bailla quand il fut levé. » Quelques bons rapports qui existent entre le roi d’Angleterre d’à présent et notre président de la République, l’idée ne viendrait certainement pas à ce dernier de faire chauffer la chemise de son hôte ; de pareilles politesses ne sont plus de mise entre souverains, fussent-ils proches parens. La mentalité du XVIe siècle est loin de nous, et c’est seulement au jeu de cartes que le « Valet » est un personnage qui vient immédiatement après le Roi et la Dame.

Le dernier vestige de cette domesticité protocolaire a disparu avec la Cour de Versailles, où chaque branche de la Maison royale comportait une liste longue et graduée, qui commençait par un prince du sang ou un duc-pair et finissait par un balayeur ou un marmiton. C’est peut-être ici le lieu de remarquer que cette armée de serviteurs, dont il a été cent fois question et où la plupart des historiens n’ont vu que la satisfaction d’une folie fastueuse, était au contraire pour la Royauté un moyen de se procurer de l’argent, parce que les emplois domestiques se vendaient.

Engager un surcroît de valets et de servantes, c’était, depuis Louis XIV, ce que nous appellerions aujourd’hui émettre des bons du Trésor, créer des rentes sur l’État, à taux variables, suivant les cours du papier et le crédit royal. Le gouvernement dressait un tarif où figurait, en face des gages attribués aux futurs acheteurs, le capital qu’ils auraient à débourser pour avoir l’honneur de devenir dame d’atours ou sommier des broches, aumônier ou garde-vaisselle, premier-gentilhomme ou palefrenier. Cette liste était publiée officiellement et, lorsque fut créée, au plus fort de la guerre de succession d’Espagne, la maison du duc et de la duchesse de Berry, petit-fils du Roi, comme il était à craindre que les 600 ou 700 offices domestiques, taxés en bloc à 25 millions et demi de francs[1], ne trouvassent

  1. Tous les chiffres contenus dans cet article sont exprimés en monnaie de nos jours, d’après la valeur ancienne de la livre et d’après le pouvoir d’achat actuel de l’argent.