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exercés. Il en résulte un double avantage : pas de temps perdu en vaines paroles ; école de modestie pour les enfans ; et, d’une telle école, la nouvelle couvée a grand besoin.

La vie morale, les plantes, les champs et les bêtes, voilà le vrai divertissement des enfans, le plus complet, le plus sain, le plus instructif. Heureux ceux qui passèrent loin des villes toute leur enfance, comme le fils de mon hôte, Georges de Lespinat ! Que de connaissances précises ils ont ainsi thésaurisées ! comme ils se sont intimement amalgamés à la nature, à la réalité ! Quelle variété dans leurs souvenirs ! Les villes, artifices des hommes, n’enseignent à peu près rien au petit citadin pendant « l’enfance de l’enfance. » Aussi avons-nous multiplié et prolongé, autant qu’il fut possible, les séjours à la campagne de Pierre et de Simone, et toujours dans ce Rein-du-Bois qu’ils aiment, près de cette ferme dont les habitans, bêtes et gens, leur sont familiers… Voici Catherine Martin, la fermière, en train de nettoyer à fond son poulailler : vêtue d’un lourd jupon couleur de terre, d’une chemise bise et d’une coiffe qui cache presque entièrement ses cheveux, elle fait jouer ses muscles robustes au grand soleil, réverbéré par la façade blanche. Quelle forte ardeur ! quelle superbe humanité ! Cette femme de quarante-cinq ans, grise de poil, moins soignée que ses poules, a plus de vraie jeunesse que telle Parisienne à qui je pense, fardée, teinte, peinte, parée, et qu’essouffle la montée d’un étage… Le mari, Denys Martin, est aux champs. Mais voici Clément Martin, le tardillon, l’enfant préféré, qui revient vers sa mère en poussant une brouette vide ; il a versé sur le fumier les ordures du poulailler et vient quérir un autre chargement. Clément est roux, trapu, solide. Contemporain de Petit-Pierre, quand tous deux avaient cinq ans, il le dépassait en force et même en intelligence pratique : Petit-Pierre, dont l’éducation avait jusqu’alors cheminé un peu à la diable (selon l’usage français), ne savait que de vagues pauvretés. Clément avait reçu le solide enseignement que la nature dispense aux enfans… Trois ans bien employés ont suffi pour renverser les avantages. Certes, Pierre est moins musclé ; mais, dressé par des exercices physiques méthodiques, il saute, court, lance une balle mieux que Clément : et quand tous deux luttent corps à corps (ce que je n’interdis point), ce n’est pas toujours le petit rustre qui prend le meilleur… D’autre part, les Martin trichant