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les pêcheurs à la madrague ; il l’étreignait à pleines mains, et fixait sur Diva effarée son morne regard d’inquisiteur.

…Dans la glauque et incertaine lumière qui nous éclairait, la haute silhouette de ce revenant des jours passés semblait grandir, d’instans en instans ; fantastique, formidable en sa robe monacale. Esther courbait le front, et s’affaissait peu à peu sur la couche des goémons : on eût dit d’un passereau paralysé par la terreur, sous le vol de l’orfraie. Quelques mots latins m’arrivaient confus : Bête venimeuse !… Astucieux serpent !… Impureté de l’Abime !… Souffle de l’Enfer !… Lazare exorcisait. Mais en dépit d’aussi puissantes formules, Leucosia ne se dissolvait pas en vapeurs, et continuait à nous appeler désespérément.

— Esther ! demanda Lautrem, devenu menaçant… Pourquoi vous glissez-vous, chaque nuit, dans ma cellule, me tourmentant sans trêve, m’obligeant de me supplicier à coups de discipline ? Il faut que cette torture finisse !… Êtes-vous l’Astaroth ?

— Au secours !… Au secours !

— Courtisane, empoisonneuse, chair de luxure, esprit de perversité, le Maudit habite votre corps… Vous êtes l’Astaroth.

— Au secours !… Au secours !

— Non, tu n’es pas une femme ; tu as volé la forme humaine !.. Tu n’es pas une femme, démon ! Je te reconnais enfin. Les eaux de l’Abime ont verdi ton visage !… Tu n’es pas une femme, lémure à l’aspect de cadavre !

— Au secours !… Au secours !

— Pourquoi m’as-tu entraîné ici, dans cette caverne, ton repaire ?… Pourquoi ton rendez-vous ?… Pour me tenter encore, te faire adorer ?… Allons, avoue : tu es l’Astaroth.

Secoué par une frénésie de rage, il leva son harpon sur la voleuse de forme humaine : « Avoue, avoue et disparais ! » Affolée, Esther tomba à genoux :

— Ne me tuez pas !… Au secours ! Au secours !… Ne me tuez pas !… Pitié ! pitié ! J’avoue.

Mais soudain se redressant, elle rejeta sa sortie de bal et, pareille aux catins diaboliques des tentations flamandes, apparut dans une obscénité provocante : pour sauver sa vie, elle essayait un suprême effort !

— Vois !… Je suis belle !… Vois, vois !… Prends-moi donc !… Je… Je…