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donne toutes les satisfactions que nous pouvons souhaiter ; quand même il le voudrait, il ne le pourrait pas ; il faut bien qu’il vive avec les élémens parlementaires dont la Chambre se compose. On aurait beau agiter celle-ci, on n’en extrairait pas une majorité conforme à nos désirs : sachons donc les modérer.

On a fait d’ailleurs tant de réformes depuis quelques années que nous sommes moins pressés d’en voir de nouvelles et que nous nous contenterions volontiers d’un gouvernement qui se bornerait à bien gouverner. Le jour où nous aurions l’impression que notre diplomatie est habilement conduite, que nos finances sont gérées avec économie, que notre armée et notre marine sont mises au niveau de tous les devoirs qui peuvent subitement leur incomber, nous éprouverions un tel soulagement d’esprit et de cœur que nous n’en demanderions pas davantage, au moins pendant quelque temps. Les choses n’en sont pas encore là, mais il y a amélioration. Le gouvernement, c’est une justice à lui rendre, n’a pas oublié le mouvement d’opinion d’où il est sorti. Sa composition serait un paradoxe s’il en était autrement. En effet, c’est un Cabinet de coalition ou, si l’on veut, d’union républicaine, et la haute situation, le caractère, le talent de quelques-uns des hommes dont il se compose ne font que mieux ressentir les divergences qui existent entre eux. Le lien commun qui les a unis est le patriotisme. Dans ce gouvernement, les questions relatives à la défense nationale devaient donc tenir une grande place. On a fait confiance à M. Delcassé pour la Marine et à M, Millerand pour la guerre, et, jusqu’à présent, cette confiance a été justifiée. On a su gré à M. Millerand d’avoir promené dans les rues de Paris des retraites militaires : ce n’est pas un très grand fait, mais c’est un fait significatif. Nous avons eu des ministres, et même des ministres de la Guerre, qui auraient dit volontiers : Cachez cette armée que nous ne saurions voir. On savait que l’armée était tout près de nous, qu’elle travaillait admirablement dans ses casernes et ses champs d’exercice, mais on ne la voyait pas : c’est à peine si une fois par an, le 14 juillet, la population de Paris en avait le spectacle. L’effet produit par les retraites militaires de M. Millerand n’a été aussi grand que parce qu’on en était désaccoutumé. Il s’atténuera avec l’habitude et il faut même le souhaiter, car nous ne devons pas considérer le passage de retraites militaires dans nos rues et nos boulevards comme un phénomène surprenant. Toutefois la population parisienne aimera toujours à voir défiler des soldats ayant vraiment l’allure militaire et à entendre résonner tambours et clairons.