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fixé l’âge de la retraite à soixante-cinq ans. Les ouvriers déjà âgés, ceux en particulier qui étaient dans le voisinage de la soixantaine, sollicités par un bénéfice évident et prochain, s’y sont naturellement conformés : ils avaient l’espoir, ou même la quasi-certitude d’atteindre l’âge de la retraite et il leur suffisait pour y avoir droit de faire un petit nombre de versemens annuels de 9 francs. Comment auraient-ils hésité ? Mais la charge qui, de leur chef, incombait à l’État était d’autant plus lourde qu’un plus petit nombre de versemens y correspondait. En revanche, les ouvriers jeunes répugnaient à faire des versemens pendant un grand nombre d’années en vue d’une retraite à laquelle beaucoup d’entre eux, la majorité sans doute, n’arriveraient pas. L’adhésion à la loi a donc été conditionnée par l’âge des intéressés : moins cet âge était avancé, plus les assujettis ont été récalcitrans. Dans cette situation, que faire ? Une idée très simple s’est présentée à l’esprit du gouvernement : abaisser l’âge de la retraite de soixante-cinq à soixante ans. Idée généreuse sans doute autant que simple : le malheur est qu’elle n’est pas moins onéreuse. On ne peut pas songer en effet à augmenter le chiffre des versemens ouvriers et patronaux, il faut donc bien que le budget paie la différence. Le Sénat a trop de bon sens pour n’avoir pas senti les inconvéniens de cette révision de la loi, et, s’il ne les avait pas sentis spontanément, l’admirable discours de M. Touron ne lui aurait pas permis de les ignorer. M. Touron est allé au fond des choses : il n’a aucune admiration pour cet « idéal » de tant de Français, qui consiste à avoir une retraite le plus tôt possible avec le minimum de travail. M. Touron craint que la loi nouvelle, en donnant aux ouvriers des mentalités de fonctionnaires, ne diminue en eux la force d’initiative qui en a élevé aujourd’hui un grand nombre au-dessus de leur condition première. Un horizon plus étroit, avec une plus grande facilité à en atteindre la limite, est-ce là ce qu’il faut proposer aux ouvriers dans la bataille économique à laquelle se livre le monde entier ? M. Touron ne le croit pas et le Sénat ne le croit certainement pas plus que lui. Et quelle imprudence d’augmenter dans une proportion considérable les charges du budget au moment où tant d’autres dépenses, notamment celles sur lesquelles on ne peut pas lésiner parce qu’elles intéressent la défense nationale, sont à la veille de s’imposer ! M. Touron a exposé tout cela avec une force convaincante : aussi le Sénat a-t-il été convaincu, si on en juge par les applaudissemens dont il a couvert l’orateur ; mais bientôt la parole habile et séduisante de M. le ministre du Travail l’a rappelé aux contingences