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plus grave ; mais enfin ces alliés, ces amis, nous devions aussi écouter leurs conseils, et ceux qu’ils nous ont discrètement donnés n’ont pas été sans influence sur la politique que nous avons suivie. Comme nous-mêmes, — et tous les orateurs du Sénat ont rendu hommage à la fermeté et au sang-froid de l’opinion française l’été dernier, — nos amis et alliés désiraient le maintien de la paix ; le voyage que lord Haldane vient de faire à Berlin, à la poursuite d’une limitation d’armemens qui est peut-être une chimère, nous en a apporté une preuve rétrospectivement significative ; ils désiraient par conséquent nous voir prendre, dans la mesure où le permettaient notre intérêt et notre honneur, les moyens d’éviter un conflit. Ces conseils de prudence nous ont été donnés à Londres à maintes reprises ; on nous y a su gré de nous en être inspirés. Nos amitiés et nos alliances ont besoin d’être ménagées : ce sont de grandes réserves de bonne volonté et de force, mais nous ne les trouverons intactes au moment marqué par les destins que si nous savons les conserver telles. La conduite de nos négociations avec l’Allemagne a reçu l’approbation de nos amis et alliés et le résultat de ces négociations, loin de leur être apparu comme un échec de notre diplomatie, a été considéré par eux comme un succès. Cette opinion n’a pas été seulement celle de l’Angleterre et de la Russie, elle a été celle de l’Europe. Chose curieuse, ce traité qui a soulevé chez nous tant de critiques et que nos deux Chambres n’ont accepté qu’avec une résignation mêlée de tristesse, a été envisagé au dehors sous un jour très différent : on y a vu pour nous un avantage. Lorsqu’on regarde, en effet, à quelques années en arrière et qu’on mesure le chemin parcouru depuis le voyage de l’empereur Guillaume à Tanger, il est difficile de croire que notre diplomatie ne mérite que des accusations. Le protectorat qu’on nous accorde aujourd’hui, on nous le refusait alors. Nous ne savons pas ce qu’il vaudra dans la pratique ; il nous imposera certainement de lourdes charges ; tout n’y sera pas pour nous bénéfice, nous serions plutôt tenté de croire qu’il ne sera cela que pour les autres ; mais enfin, nous l’avons voulu et nous l’avons et ce n’est pas un mince résultat. Qu’il y ait une contre-partie pénible, soit : cependant ce que nous obtenons au Maroc est autrement précieux, si nous savons en tirer parti, que ce que nous abandonnons au Congo.

M. Ribot et après lui M. Poincaré l’ont montré avec une grande force en invitant le Sénat à voter le traité. Au surplus, tout ce qu’on a dit des erreurs commises s’applique au passé. Il aurait pu être différent, et l’imagination est libre de le peupler d’hypothèses dont