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a parlé M. Ribot. Mais le coup d’Agadir s’est produit, et la conscience française a été révoltée de la contrainte matérielle qu’on semblait vouloir faire peser sur elle. De pareils procédés ont pu être de mise dans un autre temps, ils ne le sont plus. Leur emploi a été une faute grave de la part du gouvernement allemand : les conséquences ne s’en sont pas fait sentir seulement en France où elles ont surexcité le sentiment national, mais en Allemagne même où cet acte de force a suscité, parmi les pangermanistes, des espérances qui ne devaient pas se réaliser. Le frémissement qui s’est produit chez nous et qui y dure encore vient de là et là aussi est la source amère de la déception éprouvée par nos voisins. Notre gouvernement a-t-il, à ce moment, fait tout ce qu’il devait faire ? La résolution immédiate à prendre était délicate, et nous répugnons aux sévérités rétrospectives dans l’ignorance où nous sommes de tous les élémens du problème. Que fallait-il faire ? M. Ribot a dit que, s’il avait été ministre des Affaires étrangères au moment d’Agadir, M. Jules Cambon, qui était alors à Paris, ne serait pas retourné à Berlin. Cela aurait mieux valu sans doute, mais il n’aurait pas fallu s’en tenir à cette attitude négative. L’Allemagne avait cru, — l’événement lui a d’ailleurs donné à peu près raison, — que la question qu’elle venait de poser sous une forme si brutale pouvait être réglée entre la France et elle, sans intervention des autres puissances. C’était le cas de nous rappeler que l’Acte d’Algésiras, qu’on nous reprochait à Berlin d’avoir déchiré, n’était pas un traité franco-allemand ; les principales puissances de l’Europe et les Etats-Unis d’Amérique l’avaient signé ; pourquoi donc n’avoir pas fait appel, sous une forme ou sous une autre, à l’aréopage mondial qui avait autant de droit que l’Allemagne d’avoir une opinion et de l’exprimer ? L’Angleterre seule a exprimé la sienne : on sait de quelle manière. Les discours qui ont été prononcés alors et depuis par les ministres britanniques ont montré de façon éclatante que nous n’aurions pas été isolés.

Toutefois, il ne faut rien exagérer, et M. Pichon nous semble l’avoir fait lorsque, parlant de la résistance qu’il aurait opposée aux prétentions de l’Allemagne s’il avait, lui aussi, été ministre des Affaires étrangères au moment où certaines exigences ont fait prendre certaines résolutions, il a montré la France entourée d’amitiés et d’alliances qui lui auraient permis d’adopter une attitude plus fière. Nous n’avons eu qu’à nous louer de la fidélité de nos alliés et de nos amis pendant la crise et nous avons lieu de croire qu’elle se serait maintenue jusqu’au bout, si les événemens avaient pris une tournure