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y aider, nous tenir prêts à profiter des occasions qu’il ferait naître, mais ne rien brusquer. « Soyez patiens, » nous a-t-on dit un jour à Berlin et le conseil était sage. On nous a dit plus tard : « Vous avez voulu avoir une primeur ; elles coûtent cher. » On nous l’a fait payer cher, en effet ; mais ne fallait-il pas s’y attendre ? L’Angleterre aussi nous avait fait payer son désistement, et l’Espagne, et l’Italie : comment l’Allemagne aurait-elle seule gardé les mains vides ? Dès le premier jour, nous avons été aiguillés avec une logique implacable vers le dénouement qui s’est produit. Nous sommes-nous d’ailleurs jamais contentés des résultats que nous avions obtenus ? Non, nous avons toujours voulu davantage. Après la signature de l’Acte d’Algésiras, qu’une opinion mal éclairée a considéré chez nous comme un échec, nous avons tout de suite tendu vers autre chose. M. Ribot a dit lui-même que l’Acte d’Algésiras nous avait imposé des devoirs sans nous avoir donné les moyens de les remplir ; mais ne nous sommes-nous pas exagéré l’étendue de ces devoirs afin d’en faire des droits ? En réalité, dès ce moment, l’esprit qui s’agitait en nous, nous poussait au protectorat, et il est bien vrai que l’Acte d’Algésiras ne nous le donnait pas. Aussi avons-nous considéré cet Acte comme une étape que nous avons mis une hâte extrême à franchir. Étape aussi, l’arrangement de 1909. M. Pichon l’a qualifié ainsi et M. Ribot a repris le mot, mais ils ont l’un et l’autre exprimé l’avis qu’il aurait fallu s’arrêter plus longtemps à cette étape. Elle a été bientôt brûlée comme la précédente et pour le même motif : ce n’était pas encore le protectorat. Bientôt des complications nouvelles sont survenues et nous en avons profité pour aller à Fez. M. Ribot a dit qu’il avait déconseillé cette marche, mais que, depuis, les pièces fournies à la Commission avaient modifié son sentiment ; la Commission a été unanime à reconnaître que l’opération était inévitable ; M. Ribot l’a cru comme ses collègues ; M. Clemenceau également. N’ayant pas vu les pièces, nous conservons nos doutes sur l’inéluctable obligation d’aller à Fez. Quoi qu’il en soit, nous y sommes allés, et nous avons déclenché du coup la série des événemens qui se sont déroulés par la suite. On a dit que l’Allemagne n’avait pas protesté contre notre expédition. Rien de plus vrai. Loin de protester, l’Allemagne nous a vus sans déplaisir nous engager dans une aventure au bout de laquelle elle nous attendait. Il faut d’ailleurs lui rendre la justice qu’elle nous avait prévenus des conséquences qu’elle se proposait d’en tirer. A ses yeux, la marche sur Fez nous faisait sortir du cadre fixé par l’Acte d’Algésiras : dès lors, elle aussi