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il a fait des ovations à M. Ribot, qui, avec la plus vigoureuse logique et la plus noble éloquence, a prouvé qu’on ne pouvait pas ne pas le voter ; puis il s’est montré ému, troublé par les critiques de J M. Méline qui déplorait la perte de notre liberté économique ; enfin la parole précise, lucide et ferme de M. le président du Conseil a produit sur lui une impression définitive que n’a pas détruite l’argumentation vive, ardente, impétueuse de M. Clemenceau. Si le pays a cherché la lumière dans le Sénat, il n’a trouvé en lui qu’un phare à feux tournans et diversement colorés. Heureusement le vote final a tout remis au point. Le Sénat, par son vote, a-t-il donc entendu approuver le traité ? Non. Dans une interruption, M. le président du Conseil a dit qu’il s’agissait seulement de l’accepter. Le traité n’est sûrement pas un chef-d’œuvre, mais pouvait-il l’être ? Au surplus, à quoi bon récriminer ? Les faits accomplis sont là qui nous obligent et nous pressent. Une fois engagés dans l’engrenage, nous ne pouvions guère en sortir autrement que nous ne l’avons fait. Ceux qui croient le contraire oublient que nous ne sommes pas seuls au monde, et que nous devons ménager d’autres convenances que les nôtres. On parle volontiers, pour humilier le présent, d’un passé où l’Europe n’était pas ce qu’elle est maintenant, où l’Allemagne n’avait pas encore constitué son unité, où il en était de même de l’Italie, où notre liberté d’action était beaucoup plus grande qu’elle ne l’est devenue. Nous devons tenir compte désormais de forces qui n’existaient pas autrefois. La faute initiale de notre politique, lorsqu’elle a voulu résoudre trop tôt et trop vite la question marocaine, a été de négliger l’Allemagne. Combien cette faute n’aurait-elle pas été accrue si le Sénat avait écouté ceux qui lui conseillaient de rejeter le traité ! Nous avions corrigé notre erreur première ; nous avions employé plusieurs années et fait un effort méritoire pour nous mettre d’accord avec l’Allemagne ; tant bien que mal nous y étions parvenus. Allions-nous perdre en un jour le bénéfice de tout ce travail ? Et si nous l’avions fait, quelle aurait été la situation le lendemain ? C’est ce que M. Ribot s’est demandé, ou plutôt ce qu’il a demandé à M. Pichon qui, dans un discours d’ailleurs très éloquent, s’était prononcé contre le vote du traité.

On connaît notre sentiment sur le fond des choses : il est sensiblement conforme à celui de M. Ribot. Nous nous serions fort bien accommodé du statu quo ante, de la situation antérieure à tous les traités qui se sont succédé depuis une dizaine d’années. Le temps travaillait pour nous : il fallait nous prêter à son action naturelle,