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j’abrège : et simplement je dirai que ce second acte nous apprend deux choses d’un intérêt capital pour la marche du drame. D’une part, le fils de la princesse, Boris, s’est effectivement fiancé avec la fille aînée de Nicolas Ivanovitch : mais, en même temps, nous découvrons qu’il s’est laissé imprégner, à son tour, du contagieux « tolstoïsme » de son futur beau-père, ce qui ne laisse pas de nous inquiéter chez un brillant officier de la garde impériale. Et, d’autre part, dans une grande scène traitée avec un art merveilleux, Nicolas, sous la pression de toute sa famille, et par une sorte de « veulerie » ou de fatalisme slave bien caractéristique, consent à signer un acte qui, désormais, transmet à sa femme la possession et la gestion de toute sa fortune, — exactement comme nous savons que l’a fait autrefois le comte Tolstoï lui-même.

L’acte troisième s’ouvre par une scène d’un comique admirable. Dans une chambre du palais familial des Sarintsef, à Moscou, Nicolas Ivanovitch, habillé en paysan, est en train de faire l’apprentissage d’un travail manuel. Il a transformé la grande chambre en atelier, et un artisan, qu’il a choisi pour maître, lui enseigne les élémens de la menuiserie, — encore une différence entre ce « tolstoïen » et Tolstoï lui-même, qui, comme l’on sait, avait rêvé d’apprendre à faire des souliers. Et voici que l’artisan, malgré son humilité inguérissable, ne cache pas à son noble apprenti les sentimens que lui inspire sa nouvelle « marotte. » Tout d’abord, Nicolas Ivanovitch est très maladroit, et n’apprendra jamais à se servir du rabot. Et puis, à quoi bon cette comédie ? « Vous avez autre chose à faire dans la vie, dit-il à son élève. Dieu vous a donné de la fortune : quel besoin avez-vous de travailler de vos mains ? » Non pas, au moins, que le brave homme se refuse à continuer ses leçons ! Et comme Nicolas Ivanovitch lui reproche de se moquer de lui : « Hé ! proteste le menuisier,. pourquoi donc me moquerais-je ? Vous me payez, vous me régalez de thé : au contraire, je vous suis bien reconnaissant ! » Mais cette scène délicieuse n’est qu’un « hors-d’œuvre ; » et bientôt le drame recommence, pathétique et sombre. La mère du jeune Boris, l’officier fiancé à la fille de Sarintsef, supplie ce dernier de « sauver » son fils, qu’il a perdu par ses enseignemens. Boris n’a point voulu prêter serment à l’Empereur ; il a publiquement proclamé sa haine et son dégoût pour le service militaire : maintenant il est en prison, et c’est pour lui la ruine, c’est le cachot ou la Sibérie à perpétuité, si celui qui lui a inspiré ses maudites idées de rébellion ne réussit pas à les lui faire abjurer. De telle façon que Sarintsef se rend auprès de