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Je vous recommande un nouveau recueil de lettres de Schumann. On sait que l’auteur des Lieder, de Manfred et de Faust avait pris très jeune, à dix-huit ans, l’habitude de garder copie de toute sa correspondance. La Bibliothèque de Berlin possède environ cinq mille lettres du grand et malheureux musicien. Une première série a été traduite en notre langue, il y a deux ans. La seconde, qui vient de paraître, ne mérite pas moins d’être lue, avec intérêt toujours, et quelquefois (les dernières lettres) avec émotion[1].

Il y est parlé beaucoup de musique et beaucoup d’amour : du plus noble, du plus pur amour peut-être qui jamais ait été, dans l’âme d’un artiste, le compagnon, l’égal de son génie, sans pouvoir, hélas ! en être le sauveur. Nous savons par la musique de Schumann tout ce que cette âme avait de passionné, de mélancolique ; ses lettres, non seulement d’amour, mais d’amitié même, nous apprennent encore mieux combien elle était tendre. Des deux amis que furent Mendelssohn et Schumann, il semble bien que Schumann ait le plus donné de son cœur. Sollicité d’abandonner Leipzig- et d’aller se fixer à Vienne, il refuse, et, parmi les raisons de son refus, au nombre des êtres chers qu’il ne saurait quitter, après sa bien-aimée Clara, Mendelssohn est le premier qu’il cite. Sacrifier, ainsi qu’on le fait communément aujourd’hui, Mendelssohn à Schumann, c’est donc honorer beaucoup, mais peut-être offenser un peu la mémoire du musicien de Manfred. Il était plus modeste pour lui-même. En 1836, il écrit à sa sœur Thérèse : « Je contemple Mendelssohn comme une cime élevée. C’est un véritable dieu ; il faut que tu le connaisses. » Neuf ans après, à Mendelssohn lui-même, dont il venait de lire une sonate pour orgue : « Je retrouve partout cette aspiration toujours de plus en plus élevée, pour laquelle je vous ai sans cesse comme modèle devant les yeux.

« Je rencontre dans chacune de vos sonates ce véritable sentiment poétique qui complète la perfection du tableau. Alors que je me figure, en étudiant ses œuvres, voir Bach tenir l’orgue lui-même, quand je pense à vous, je pense plutôt à une sainte Cécile. Comme il est charmant que justement votre femme porte ce nom ! »

Deux années encore, et Mendelssohn avait cessé de vivre : « Nous devons tous contempler avec respect cette grande figure disparue. Il apparaît, telle une image miraculeuse, toujours plus haut qu’on ne se sent soi-même. Et il était si bon, si modeste ! Il repose maintenant ! Les derniers orages et les dernières tempêtes lui auront été

  1. Lettres choisies de Robert Schumann (1828-1854), traduites de l’allemand par Mme Mathilde P. Crémieux. Paris, Fischbacher.