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Ainsi, diraient les pédans, se dérobent à la fois les deux élémens, statique et dynamique, de l’art. Les caractères musicaux ne se développent pas, n’ayant pas été posés. Autant que l’évolution ou le devenir, et d’abord, c’est l’être même qui leur fait défaut. Loin de les animer, cette musique trop compacte les étouffe ; trop lourde, et pesant sur eux d’un poids que jamais rien n’allège, elle finit par les écraser. L’orchestre constamment les accable, un orchestre massif, qui « donne » sans réserve et sans merci, toujours et tout entier. Jamais ou presque jamais un instrument, un thème isolé ne s’en détache. Pas une flamme, pas un rayon, pas un trait ailé n’en jaillit. Autant que l’air et le jour, la tendresse, la grâce manquent à la symphonie épaisse. Elle n’exprime, elle n’exhale rien de cette langueur et de cette mélancolie, de ce charme ondoyant cl fluide que sur l’amoureuse élégie auraient pu répandre les sons.

Quelqu’un a dit de la musique de Bérénice que l’esprit, le génie peut-être, en était français et le style wagnérien. C’est une opinion, c’en est même deux, et contradictoires. La seconde est la bonne, et celle, — ouvertement déclarée, — de l’auteur, en sa préface toujours. Oui, sauf le caractère légendaire du sujet, nous retrouvons ici toutes les formes, ou formules, ou recettes wagnériennes : suprématie de l’orchestre, continuité du courant symphonique et leitmotif. Et nous ne les retrouvons pas, la dernière en particulier, sans quelque lassitude, où se mêle un commencement d’impatience, pour ne pas dire un dégoût naissant.

Nous l’avons éprouvé surtout pendant le second acte de l’ouvrage, que traverse de part en part ou plutôt que sillonne en tous sens un thème fastidieux. C’est le motif de Mucien. Mucien est un peu le Paulin de la tragédie racinienne : le confident et le conseiller de Titus, mais un conseiller militaire, vieux soldat sermonneur, abondant en avis raisonnables non moins qu’en vertueuses représentations. Le Sénat, l’opinion publique, également hostiles à la reine Bérénice, s’expriment, non par la voix de Mucien, la voix n’étant guère ici l’agent expressif, mais par le motif symphonique de Mucien. Et le motif de Mucien ressemble à Mucien lui-même : il est solennel, un peu poncif, ou, plus militairement, un peu pompier, comme lui. Le retour opiniâtre en est difficile à souffrir sans quelque impatience. Aussi bien il nous a paru que l’invention mélodique de M. Magnard manquait d’abondance et de caractère. Les idées ne se distinguent ici ni par la beauté formelle ou plastique, ni par la valeur significative. Notez bien qu’en disant : les « idées, -> les idées musicales, on sait tout de même