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La scène était d’un effet sûr, mais trop sûr, trop prévu et d’une coupe trop banale. Nous connaissons, pour l’avoir vue trop souvent à l’Ambigu, la scène vengeresse où le personnage sympathique démasque le traître. Celui-ci vainement essaie de s’échapper : il est pris au piège. Il grimace et se tortille. Peine perdue ! Il est maté. Et tous les braves cœurs du paradis se réjouissent. J’ajoute qu’il y a dans tout cela bien de l’invraisemblance. Que Frépeau ait touché dans le Panama, — au point de vue du pot-de-vin, un isthme en vaut un autre, — ce n’est pas cela qui est invraisemblable, mais bien que Mérital l’ait ignoré jusque-là et découvert au moment opportun. Dirai-je enfin que pour être ému par le spectacle d’une lutte, il faut s’intéresser à l’un des lutteurs et prendre parti pour lui ? Que Frépeau « bouffe » Mérital, suivant l’expression dont se sert celui-ci et qui est probablement du langage parlementaire, ou que Mérital « bouffe » Frépeau, qu’est-ce que vous voulez que cela me fasse ? Frépeau est un malhonnête homme, un chéquard avéré, et l’ironie serait trop forte qu’il se posât en justicier. Mais Mérital a dans son passé une vilaine histoire, et un moment vient toujours où la boue remonte : tant pis pour ceux qui n’ont pas eu de suffisans soins de propreté.

Car nous ne doutons pas que Mérital ait commis jadis l’action fâcheuse dont on l’accuse. Il ne nous reste qu’à en recevoir l’aveu de lui-même. M. Bernstein s’est avisé d’un moyen fort ingénieux pour le lui arracher. Mérital, après la conversation qu’il vient d’avoir avec Frépeau, annonce à Renée la certitude où il est maintenant d’un acquittement. Mais cette certitude, la jeune fille l’a toujours eue. Comment un soupçon l’eût-il effleurée ? Elle a en Mérital une foi que les enfans eux-mêmes n’ont pas eue en leur père. Telle est la vertu de l’amour. C’est à cette confiance absolue que Mérital juge nécessaire de répondre par une même confiance. Ou plutôt, ce n’est pas ici affaire de raisonnement, mais de sentiment. Une irrésistible impulsion le pousse. Cette candeur appelle cette franchise… Voilà sans doute pourquoi M. Bernstein a voulu que Mérital fût aimé d’une jeune fille. Il fallait, pour réduire l’obstination de cette âme fermée, l’amour le plus pur, le plus ignorant des laideurs de la vie. Le coup est rude pour Renée. Apprendre, de la bouche même de Mérital, qu’il a fait jadis cette action basse et honteuse : voler — lui est une déception d’autant plus atroce qu’elle avait placé plus haut son idéal. La pièce avance, menée toujours avec la même dextérité ; le drame s’achemine vers son dénouement, conduit toujours avec la même sûreté ; et, chose bizarre, à mesure que nous entrons