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Tel était bien l’état de l’opinion entre 1840 et 1850. C’était le temps du grand débat entre la protection et le libre-échange, le temps aussi où, à côté de l’Empire colonial britannique, commençait à se constituer un nouvel empire colonial français. D’un côté, les hommes attachés aux vieux principes, au mercantilisme, à la domination absolue de l’Angleterre sur toutes les mers, tenaient que les colonies étaient la chose de la métropole, qu’il fallait leur mesurer strictement la liberté et n’avaient, d’ailleurs, aucune foi dans la fidélité des Français du Canada ou des Hollandais du Cap. D’autre part, les gens avancés, croyant à la venue prochaine de la paix et du libre-échange universels, jugeaient fort inutile d’encombrer indéfiniment l’Angleterre de colonies qui, selon leurs vues de l’avenir, ne pouvaient lui être d’aucune utilité. Les deux points de vue semblaient irréductibles. Pourtant, comme il est presque toujours arrivé dans l’histoire du peuple anglais, ils ont perdu, sous l’influence des faits, beaucoup de leur raideur première et peu à peu un rapprochement s’est fait, non certes complet, mais très appréciable. Ecoutons encore le premier ministre :


Après soixante-dix ans d’expérience de l’évolution impériale, on peut dire avec continuée qu’aucune de ces deux théories (la centralisation ni la désagrégation) ne reçoit aujourd’hui le plus léger appui, soit dans la métropole, soit dans aucune portion autonome de notre Empire. Nous avons été préservés de leur adoption, soit par la faveur de la Providence, soit (pour prendre une hypothèse plus flatteuse) par l’instinct politique de notre race. Et, dans la proportion même où la centralisation a paru de plus en plus absurde, la désagrégation a semblé de plus en plus impossible,


Ce que l’on recherche aujourd’hui, c’est une combinaison de l’autonomie coloniale, — à laquelle les plus ardens impérialistes se défendent de vouloir porter atteinte, — avec le développement et la défense des intérêts communs, sans lesquels l’unité de l’Empire paraît vaine et fragile. C’est ce qu’exprime encore M. Asquith en disant aux délégués coloniaux :


Que ce soit en Angleterre ou dans ces grandes communautés que vous représentez, chacun de nous entend rester maître dans son ménage. C’est, ici comme dans les Dominions, le principe de vie de notre politique. C’est l’articulus stautis aut codent in Imperii. Il n’en est pas moins vrai que nous sommes et entendons rester des unités, mais des unités dans une unité plus grande. Et c’est le premier objet, et le principe dirigeant de ces conférences périodiques, que de prendre librement conseil les uns des autres sur les sujets qui nous concernent tous.