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1° L’enseignement classique doit rester plus que jamais l’enseignement d’une élite. Il a grand besoin d’être fortifié, dans sa partie scientifique comme dans sa partie littéraire. Il n’y a d’ailleurs nulle incompatibilité entre ces deux branches, pourvu qu’elles se développent dans l’ordre voulu et que l’inévitable bifurcation ne s’opère pas trop tôt, car il est d’observation constante que les meilleurs élèves de sciences, les mieux classés dans les grandes écoles sont ceux qui ont fait d’abord de bonnes études littéraires.

2° Il faut pour la partie la plus considérable de la nation un enseignement préparant plus vite à la vie active, assez abrégé pour mettre plus tôt le jeune homme en contact avec la profession qu’il doit exercer et à laquelle il doit être suffisamment rompu avant son départ pour le régiment.

3° L’enseignement moderne, tel qu’on l’a organisé, ne rend aucun de ces deux services : et il gêne beaucoup ceux qui pourraient rendre soit l’un, soit l’autre. Il les gêne d’autant plus que, pour des raisons plus politiques que pédagogiques, on a mêlé tous les enseignemens à la fois dans les mêmes établissemens. Mieux eût valu ou se contenter d’un enseignement primaire supérieur, légèrement amélioré, ou, — ce qui revenait à peu près au même, — garder l’ancien enseignement spécial de M. Duruy, en prenant son parti de la réduction du nombre des années d’études que, malgré les programmes toujours trop chargés, la volonté des familles avait, en fait, imposée presque partout.

Un professeur de province, dont l’enquête a tenu à citer l’opinion, pouvait en effet écrire : « Dans l’enseignement classique, on commence avec 100 élèves en sixième, on finit avec 90 en rhétorique ; dans l’enseignement moderne, on commence avec 100, on finit avec 8. » Ce fait prouve combien est vaine ou plutôt fâcheuse la prétention d’imposer d’un bout de la France à l’autre des programmes uniformes, surtout quand il s’agit d’études à tendances utilitaires. Si aux élèves qui ne veulent rester et qui ne restent en effet que cinq ou six ans, on impose des programmes qui en exigent sept ou huit, tout devient désordonné et incomplet, car tout est décapité. On pourra sans doute trouver dans la minorité fidèle quelques bons échantillons qu’on produira, qu’on mettra même en valeur. Mais qu’adviendra-t-il des autres ?