Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 7.djvu/893

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tout, uniquement faites pour allonger des kilomètres de cotonnade et qu’un peuple qui veut conserver dans la civilisation générale un poste d’honneur doit avoir à cœur de répandre les aspirations et les sentimens qui font le prix de la vie sociale ? Il y gagne de faire aimer la langue servant de véhicule à ces productions supérieures ; et il est bien certain que, s’il continue d’y réussir, il en sera payé par un surcroît d’avantages dont ne profitera pas seulement sa fierté nationale. Mais, pour conserver un tel privilège, ne faut-il pas que sa langue soit toujours fidèle à ses meilleures traditions et qu’elle apparaisse clairement comme la continuation des grandes civilisations antiques dont elle est issue ? Notre XVIIe siècle a fait pénétrer victorieusement dans ces cadres, sans les altérer, toute la sublimité de l’esprit chrétien ; le XVIIIe et le XIXe siècle y ont ajouté le sentiment de la vie populaire et le sentiment de la nature, en sachant toujours arrêter à temps ce qu’il y a souvent de maladif dans les utopies de l’un, dans les rêveries mélancoliques de l’autre. C’est cet héritage qui constitue le fonds sur lequel nous devons travailler.

Rappelons enfin que le Français est individualiste. Il l’est même trop, et il faut désirer le voir tempérer cette tournure d’esprit par une pratique rajeunie de l’association. Mais encore une fois, le meilleur moyen de rivaliser avec les qualités d’autrui n’est pas de sacrifier celles qu’on a. Le génie allemand procède par des groupemens lentement accumulés, par ces actions de masse où les individus valent surtout par la patience et la discipline avec laquelle ils renforcent tous également la grande poussée collective : il lui suffit que celle-ci soit voulue et dirigée par un très petit nombre. Le génie français compte avant tout sur les coups de maître imprévus de tel ou tel des siens, qui, par une inspiration subite, déconcertera l’adversaire. Il ne réussit peut-être pas beaucoup en ce moment à obtenir de pareils effets dans la politique et dans l’aménagement administratif de ses différentes énergies : celles-ci n’en ont pas moins fait leurs preuves dans la fabrication, si rapide, de ces nouveaux engins industriels ou militaires qui feront époque dans l’histoire de l’humanité. Mais ces héros de la guerre ou de la paix ne sont eux-mêmes que « les premiers dans une élite nombreuse » (comme Sainte-Beuve le disait de la plupart de nos grands littérateurs) : or, cette élite, il faut l’avoir formée eu démêlant le plus possible les qualités individuelles de ceux qui