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très bien. Tous les hommes de bon sens s’accordent à penser qu’on ne saurait, sans un pédantisme périlleux, distribuer le même enseignement aux populations agricoles et aux populations industrielles, aux populations minières et aux populations commerçantes, aux populations des pays de vignobles et à celles de la Beauce ou de la Brie. Un recteur, qui voyait quelquefois très juste quand la fureur anticléricale ne l’aveuglait pas, demandait, dans la grande enquête, qu’un certain enseignement secondaire visant à l’utilité fût divisé en trois catégories, l’agricole, l’industrielle et la commerciale. A combien plus forte raison devrait-il en être ainsi dans l’enseignement primaire. A la vérité, tout le monde, ou peu s’en faut, le reconnaît en théorie. Mais renoncer à l’uniformité serait renoncer à la centralisation, aux rêves du monopole, à la politique de tracasserie envers tout ce qui représente une liberté. Aussi cet idéal est-il périodiquement célébré… et sacrifié par ceux qui tiennent en mains les destinées de notre enseignement.

Craint-on qu’à cette conception terre à terre s’opposent notre amour obstiné de l’égalité et ce qu’il y a peut-être d’inévitable dans certaines poussées socialistes ? Mais d’abord, il n’y a rien de plus funeste à l’égalité rêvée que l’uniformité. La seule égalité possible dans le monde des intérêts positifs et dans les trois quarts et demi de la vie sociale, c’est celle qui provient de la diversité, car c’est cette diversité qui, en multipliant les aptitudes et les compétences distinctes, les soustrait à la brutalité d’une même mesure appliquée à tous. Quand tous affrontent uniformément le même certificat, on ne peut pas nier les inégalités qui séparent les reçus et les refusés, puis les premiers et les derniers de la liste. Qu’on facilite l’acquisition de divers talens professionnels, sans doute on ne supprimera jamais complètement la supériorité des uns et l’infériorité des autres, mais on les atténuera et, ce qui n’est pas à dédaigner, on les dissimulera ; car si l’on peut classer les travailleurs d’une même industrie, comment classer ceux de deux, de trois industries différentes, mais toutes nécessaires et par conséquent honorables ? Comment comparer, par exemple, un mineur à un vigneron ou un charpentier à un pêcheur ? C’est un des principes les mieux établis de Darwin, que plus les êtres se ressemblent, plus entre eux la concurrence est vive ; c’est en se distinguant qu’ils se procurent de quoi soutenir la lutte avec moins