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l’intervention téméraire de l’Impératrice, la coupable complaisance du ministre des Affaires étrangères, la falsification de la dépêche d’Ems, le manque de préparatifs sérieux, l’infériorité de notre artillerie, l’incohérence des premières opérations, l’impéritie du commandement, la dispersion des forces sur une large étendue de frontière, le désordre des transports, tout semblait faire présager les désastres que l’on sait. À la nouvelle de la défaite de Sedan, une surexcitation extraordinaire envahit tous les esprits. On ne pouvait croire à l’effroyable réalité. Paris allait être assiégé. On s’appuyer ? Où se retenir ? Le gouvernement existait-il encore ? Qui commandait ?… Le Corps législatif, qui aurait pu constituer légalement le Comité de défense proposé par M. Thiers, hésita, tergiversa, attendit. Ses hésitations déchaînèrent la Révolution grondante et les pouvoirs publics furent emportés par elle comme un fétu de paille par le vent.

« Dès onze heures du matin, rapporte M. de Freycinet, commençait à défiler sur les boulevards ; sans ordre ni consigne apparente, une multitude de gens venus des parties excentriques, et qui se dirigeaient vers la place de la Concorde. Il était difficile de dire quel dessein les amenait. En proie sans doute à l’anxiété générale, ils cherchaient, comme nous-mêmes, massés sur les trottoirs, à se renseigner sur les suites de l’horrible crise. J’ai longtemps assisté à ce défilé qui avait quelque chose de lugubre et d’inquiétant. J’ai fini par imiter les personnes qui m’entouraient et j’ai grossi le cortège. Une fois de plus, j’ai vu, dans l’affolement, s’ouvrir les portes du Palais-Bourbon devant une invasion d’ailleurs pacifique. Les hommes de garde, comme vingt-deux ans auparavant, cédèrent à la pression populaire, et, vers sept heures du soir, le public apprenait la formation du gouvernement provisoire. »

J’ai assisté, moi aussi et de très près, à la chute de l’Empire. Je vois encore, derrière la grille du Palais-Bourbon, le chef des surveillans du Corps législatif, le pétulant Bescherelle, monté sur une chaise et suppliant la foule d’être sage. Quelques secondes après, la grille pliait comme un roseau, et le torrent passait. On a souvent reproché au nouveau gouvernement d’avoir usurpé le pouvoir. Ceux qui ont vu la journée du 4 Septembre savent parfaitement que, dès le matin même, la Révolution était faite dans les esprits, sinon dans la rue. Rien