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le droit, c’est évident ; mais ces messieurs ont la force. Nous n’avons qu’à nous en aller ! » Dans l’Histoire d’un Crime, Victor Hugo accentue encore la peur de Dupin et lui fait dire aux représentans qui l’invitent à venir protester avec eux : « Je ne peux pas. Je suis gardé… Il n’y a rien à faire… Je ne puis rien. Ubi nihil, nihil ! » Le poète le montre entraîné de force vers la salle des séances et quand on le somma de se prononcer contre l’attentat, disant aux soldats : « Vous avez la force ! Vous avez des baïonnettes. J’invoque le droit… et je m’en vais… » Aussi, dans les Châtimens, Victor Hugo lui a-t-il réservé une pièce satirique intitulée : l’Autre Président. Elle commence ainsi :


Donc vieux partis, Voilà votre homme consulaire !
Aux jours sereins, quand rien ne nous vient assiéger,
Dogue aboyant, dragon farouche, hydre en colère,
Taupe aux jours du danger !


Vapereau, qui lui consacra une notice en 1865, dit à ce propos : « Gardé à vue, il ne put que rédiger et signer une protestation dont il ordonna le dépôt aux Archives du Palais-Bourbon. » Mon ancien collègue à ces mêmes Archives, M. Houdiard qui fut secrétaire particulier de Dupin, m’avait raconté jadis que cette protestation dont il écrivit le texte sous la dictée de l’ancien président, et qui fut signée par lui, avait été placée quelque temps après dans les dossiers de la Législative. Je l’y ai retrouvée ces jours derniers et j’ai été autorisé à la reproduire. La voici tout entière. Elle est datée du 2 décembre 1851.

« Après l’arrestation des deux questeurs (Baze et le général Le Flô), le Président a donné l’ordre écrit de convoquer immédiatement l’Assemblée. Mais, avant que cet ordre eût pu être exécuté, et vers dix heures et demie du matin, une compagnie de gendarmes étant entrée dans la salle des séances pour en faire sortir violemment les représentans qui s’y étaient réunis, le Président, averti par plusieurs de ses collègues, s’est transporté dans le vestibule de la salle des séances, revêtu de son écharpe. Il a demandé le colonel commandant. Celui-ci étant arrivé, le Président lui a dit : « J’ai le sentiment du droit et j’en parle le langage. Vous déployez ici l’appareil de la force. Je n’en ai pas à vous opposer. Je ne puis que protester, et je