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théorie de la connaissance. Là en effet s’accuse encore une fois l’éclatante et féconde originalité de la philosophie nouvelle.

On a fait sur ce point plus d’une objection à M. Bergson. Rien que de naturel à cela : comment une semblable nouveauté serait-elle tout de suite exactement comprise ? Rien aussi que de désirable : ce sont les demandes d’éclaircissemens qui amènent une doctrine à prendre pleine conscience d’elle-même, à se préciser et à se parfaire. Mais il faut craindre les fausses objections, celles qui proviennent de ce qu’on s’obstine à traduire la nouvelle philosophie dans un langage ancien imprégné d’une métaphysique différente. Qu’a-t-on reproché à M. Bergson ? De méconnaître la raison, de ruiner la science positive, de se laisser prendre à l’illusion de connaître autrement que par l’intelligence ou de penser autrement que par la pensée, bref, de tomber dans le cercle vicieux d’un intellectualisme qui se retourne contre lui-même. Aucun de ces reproches n’est fondé.

Commençons par quelques remarques préliminaires, pour déblayer le terrain. Il y a d’abord une objection ridicule, que je cite seulement pour mémoire : celle qui soupçonne au fond des théories que nous allons discuter je ne sais quel arrière-dessein ténébreux, je ne sais quelle préoccupation de mysticisme irrationnel. Non, la vérité est au contraire que nous avons ici, mieux que nulle part peut-être, le spectacle d’une pensée pure en face des choses. Mais c’est une pensée complète, non réduite à quelques fonctions partielles, une pensée assez sûre de sa puissance critique pour ne sacrifier aucune de ses ressources. Voilà, au fond, pourrait-on dire, le vrai positivisme, celui qui réintègre toute la réalité spirituelle. Il ne conduit nullement à méconnaître ou à diminuer la science. Là même où le plus visiblement apparaissent en elle contingence et relativité, dans le domaine de la matière inerte, M. Bergson va jusqu’à dire que la physique touche un absolu. Cet absolu, il est vrai qu’elle le touche plus qu’elle ne le voit. Elle en perçoit surtout les réactions sur un système de formes représentatives qu’elle lui présente, elle en observe l’effet sur le voile théorique dont elle l’enveloppe. A de certains momens, tout de même, le voile devient presque transparent. Et, en tout cas, la pensée du savant frôle et devine le réel dans la courbure que dessine la succession de ses synthèses grandissantes. Mais il y a deux