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III

La philosophie de M. Bergson commence peut-être maintenant à se dessiner dans ses grandes lignes et sa perspective d’ensemble. Certes je suis le premier à sentir combien un grêle résumé demeure en définitive impuissant à en traduire toute la richesse, toute la force. Au moins voudrais-je avoir pu contribuer à en faire mieux percevoir le mouvement et comme le rythme. C’est aux livres mêmes du maître qu’il faut demander une révélation plus complète. Et les quelques mots que je vais ajouter encore en guise de conclusion ne veulent qu’esquisser les principales conséquences de la doctrine et permettre d’entrevoir sa lointaine portée.

L’évolution de la vie serait chose bien simple et facile à comprendre si elle s’accomplissait le long d’une trajectoire unique, suivant un chemin linéaire. « Mais nous avons affaire ici à un obus qui a tout de suite éclaté en fragmens, lesquels, étant eux-mêmes des espèces d’obus, ont éclaté à leur tour en fragmens destinés à éclater encore, et ainsi de suite pendant fort longtemps. » C’est en effet le propre d’une tendance que de se développer en gerbe qui l’analyse. Quant aux causes de cette dispersion en règnes, puis en espèces, enfin en individus, on en peut discerner deux séries : la résistance que la matière oppose au courant de vie lancé à travers elle, puis la force explosive, — due à un équilibre instable de tendances, — que porte en soi l’élan vital. Toutes deux concourent à faire que la poussée de vie se divise en directions de plus en plus divergentes, mais complémentaires, chacune accentuant quelque aspect distinct de la richesse originelle. M. Bergson s’en tient aux bifurcations du premier ordre : plante, animal et homme. Et les caractéristiques de ces voies, il les montre, au cours d’une profonde et minutieuse discussion, dans les modes ou qualités qui signifient les trois mots : torpeur, instinct, intelligence : le végétal fabriquant et emmagasinant des explosifs que l’animal dépense, l’homme se créant un système nerveux qui lui permet de convertir la dépense en analyse. Laissons de côté, il le faut bien, tant de vues suggestives semées avec profusion, tant d’éclairs tombant sur toutes les faces du problème ; et bornons-nous à voir comment sort de cette doctrine une