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immédiates de la conscience. S’agit-il d’un état simple, tel qu’une sensation de lumière ou de poids ? L’intensité s’en réduit à une certaine qualité ou nuance qui nous signale approximativement, par une association d’idées et grâce à notre expérience acquise, la grandeur de la cause objective d’où il émane. S’agit-il, au contraire, d’un état complexe, comme ces impressions de joie ou de tristesse profondes, qui nous prennent tout entiers, qui nous envahissent et nous submergent ? Ce que nous appelons leur intensité n’exprime que le sentiment confus d’un progrès qualitatif, d’une richesse croissante. « Par exemple, un obscur désir est devenu peu à peu une passion profonde. Vous verrez que la faible intensité de ce désir consistait d’abord en ce qu’il vous semblait isolé et comme étranger à tout le reste de votre vie interne. Mais petit à petit il a pénétré un plus grand nombre d’élémens psychiques, les teignant pour ainsi dire de sa propre couleur ; et voici que votre point de vue sur l’ensemble des choses vous paraît maintenant avoir changé. N’est-il pas vrai que vous vous apercevez d’une passion profonde, une fois contractée, à ce que les mêmes objets ne produisent plus sur vous la même impression ? Toutes vos sensations, toutes vos idées vous en paraissent rafraîchies : c’est comme une nouvelle enfance. » Rien ici de l’homogénéité qui est le propre de la grandeur, la condition nécessaire de lame-sure, et qui laisse transparaître le moins au sein du plus. Rien non plus de dénombrable, rien d’une multiplicité numérique déployée dans l’espace. Nos états internes forment une continuité qualitative ; ils se prolongent et se fondent les uns dans les autres ; ils se groupent en accords dont chaque note contient une résonance de tout l’ensemble ; ils s’entourent de halos aux dégradations infinies qui, de proche en proche, colorent le contenu total de la conscience ; ils vivent chacun au sein de chacun. « Je suis odeur de rose, » faisait dire Condillac à sa statue ; et cette parole traduit exactement la vérité immédiate, dès que l’observation se fait assez naïve et simple pour atteindre le donné pur. Dans un sou file qui passe, je respire mon enfance ; dans un frisson de feuilles, dans un reflet de lune, je retrouve une suite infinie de réflexions et de rêves. Une pensée, un sentiment, un acte peuvent révéler toute une âme. Mes idées, mes sensations me ressemblent. Comment seraient possibles de tels faits si l’unité multiple du moi ne présentait le