Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 7.djvu/790

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

plus d’un siècle, l’écho ne semble pas encore tout à fait amorti.

Jusqu’alors, dans l’armée française, les peines disciplinaires infligées pour les fautes légères se réduisaient au « piquet » et à la prison. Non pas que les châtimens corporels y fussent, de manière absolue, interdits par les règlemens. On trouve, en mainte vieille ordonnance, mention des verges ou des « baguettes » appliquées à la répression de certaines fautes déterminées, comme le vol, la tricherie au jeu, l’abandon du camp pour maraude. Mais cette peine n’était employée qu’à titre exceptionnel, pour des délits regardés comme déshonorans. Le soldat châtié de la sorte ne pouvait retourner au corps qu’après réhabilitation ; on lui faisait « passer le drapeau sur la tête, » pour « lui ôter, par cette cérémonie, l’idée de l’infamie » dont il avait subi l’atteinte[1]. Aussi la bastonnade en usage dans l’armée allemande était-elle, parmi nos soldats, un sujet constant de risée, « de mépris pour les hommes qui se laissaient avilir de la sorte[2]. »

Plus d’un général, cependant, regrettait ce moyen, comme à la fois plus efficace et plus rapide que la prison, moins « destructif, surtout, de la santé des hommes. » Le maréchal de Broglie était de cet avis ; il avait même, au cours de la guerre de Sept ans, institué la mode du bâton parmi les troupes qu’il commandait et il s’en était, disait-on, bien trouvé pendant la campagne. Le comte de Rochambeau, dans un mémoire sur la discipline militaire, avait proposé de créer, à l’usage des bas-officiers, une « forte épée d’acier, » dont ils se serviraient pour « corriger les petites fautes, » et dont les coups seraient réglés d’après une espèce de tarif. En février 1775, un comité d’inspecteurs généraux avait, à l’unanimité, émis un vœu en faveur de cette invention.

En ordonnant les coups de plat de sabre comme peine disciplinaire, Saint-Germain, de bonne foi, n’imaginait donc pas faire chose exorbitante. « Si ce moyen, écrivait-il, est redouté du soldat français, il sera d’autant plus sûr à employer pour le succès de la discipline. » Les coups, dont le nombre variait de vingt-cinq à cinquante, seraient donnés au délinquant par un bas-officier, sur l’ordre exprès du capitaine, à la parade du jour, en présence de la compagnie dont faisait partie le coupable. Ainsi l’effet moral, dans la pensée de Saint-Germain, viendrait doubler l’effet de la souffrance physique.

  1. Mémoires sur l’art de la guerre, par le maréchal de Saxe.
  2. Ibid.