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peine de perdre son traitement. Quant aux officiers inférieurs, capitaines ou lieutenans, ils sont assujettis à des obligations étroites, tenus constamment en haleine par de multiples inspections ; et ces exigences insolites les frappent d’une stupeur indignée. « Les choses ont bien changé[1], garnit tristement l’un d’entre eux. Un capitaine est aujourd’hui un homme attaché, garrotté pendant dix-huit mois de suite à une compagnie qu’il gère pour le Roi, qui pour cela lui donne 2 400 livres d’appointemens… Il ne peut pas dîner hors des murs de sa garnison sans la permission de plusieurs personnes ; s’il veut découcher, les difficultés sont plus grandes ; si c’est pour plusieurs jours, c’est une affaire d’Etat ! » En un mot, la noblesse, tout en gardant son privilège, aura dorénavant la charge en même temps que l’honneur, et l’état militaire devient véritablement un métier.

Le mécontentement s’aggrava par suite d’une prescription nouvelle, bien justifiée pourtant et d’une sagesse incontestable. Croirait-on qu’avant Saint-Germain il n’existait entre les divers corps aucun lien permanent, aucun groupement déterminé ? Isolés dans les garnisons et s’ignorant les uns les autres, les régimens n’avaient nulle organisation d’ensemble. Le jour où une guerre éclatait, on en réunissait en hâte un certain nombre ; on leur nommait un chef, qui, la plupart du temps, ne les connaissait pas la veille, et l’on entrait de la sorte en compagne. Pour remédier au vice d’un loi système, Saint-Germain imagine de distribuer les troupes du Roi en seize divisions militaires, dans lesquelles les différentes armes, — infanterie, cavalerie, artillerie et dragons, — sont réparties dans une proportion fixe, et dont chacune est commandée, soit en paix soit en guerre, par un lieutenant général et trois maréchaux de camp. Par des exercices répétés, des manœuvres fréquentes et des évolutions d’ensemble, ces unités tactiques devront être entraînées pour l’heure de la bataille ; car, disait le ministre[2], « tout le système militaire doit être constitué de façon que les armées soient toujours en état d’entrer en campagne du jour au lendemain… Prévenir l’ennemi fut et sera toujours l’un des meilleurs moyens pour le vaincre. »

La conséquence de cette mesure fut une distribution

  1. Mémoires du marquis de Toulongeon (Archives de la Guerre).
  2. Mémoires de Saint-Germain.