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des chansons plus ou moins piquantes. Ces troupes, au si glorieux passé, n’eurent pas d’autre oraison funèbre.

Pour les autres corps, au contraire, la résistance fut efficace. Les clameurs des dépossédés, les « intrigues ténébreuses, » dont, — écrit un contemporain, — « on voyait les effets sans en distinguer les ressorts, » toute cette effervescence troublait M. de Saint-Germain, déconcertait ses plans, ébranlait ses résolutions. Une grande déception lui venait de l’attitude, en cette affaire, de l’homme sur lequel il comptait, dans sa simplicité, pour seconder ses vues, le vieux conseiller du Roi, le premier ministre de fait. Non que Maurepas se montrât publiquement hostile à la réforme, ni fit écho aux détracteurs de l’audacieux projet, mais son scepticisme railleur, sa légère insouciance et ses conseils éternels de prudence, insufflaient peu à peu le doute dans l’âme candide de son collègue, décourageaient son ardeur batailleuse.

Louis XVI, dans cette tempête, se départait aussi de sa fermeté primitive. Lui qui, les premiers jours, disait à Saint-Germain : « Sachez, monsieur, qu’il n’y a que moi qui puisse ordonner ici et que, quand j’ai prescrit, vous ne devez avoir aucun égard aux protecteurs[1] ; » lui qui, au duc de Noailles s’enquérant des projets sur les gardes du corps, répliquait brusquement : « Je n’aime pas la curiosité, » ne tardait pas à se montrer flottant, inquiet et comme intimidé. Il maintenait encore les principes, mais il cédait sur les personnes ; il voulait bien détruire les privilèges, mais il craignait visiblement la colère des privilégiés ; et tout en condamnant les charges inutiles, il intervenait constamment pour empêcher les titulaires d’être privés de leur emploi. Ainsi l’arme naguère tranchante s’émoussait insensiblement. L’heure arrivait enfin où, comme dit le gazetier[2], l’auteur de la trop fameuse ordonnance, « voyant son plan dérangé chaque jour davantage, » l’achevait hâtivement, vaille que vaille, se dépêchait de le produire au jour, boiteux, mutilé, incomplet, « dans la crainte de n’en rien pouvoir exécuter, s’il donnait plus de temps aux cabales pour se former, agir, diriger et multiplier leurs efforts. »

De fait, la grande réforme aboutissait à supprimer, dans toute la Maison militaire, quelque chose comme un millier

  1. Correspondance secrète de Métra, 6 février 1776.
  2. L’Espion Anglais, 1776.