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sentimentales. Son premier projet reprenait, à part quelques légers détails, celui de Saint-Simon : suppression pure et simple de la plupart des corps de la Maison du Roi, — gendarmes, gardes-françaises, mousquetaires et chevau-légers, — de quelques autres corps attachés aux maisons de la Reine et des princes du sang, maintien des seuls gardes du corps, jugés indispensables à la sûreté du trône. Telle fut l’économie de l’ordonnance qu’il ébauchait dans le secret de son cabinet de ministre et qui, rapidement divulguée par une indiscrétion funeste, provoquait une vive émotion, une violente fermentation, applaudie par les uns, censurée par les autres, avec une égale véhémence.

Dans la masse du public, c’était une sorte d’enthousiasme. « La ville, dit le duc de Croy, ne s’occupait que des projets de réformes absolues de M. de Saint-Germain, et c’était un déchaînement général contre les doubles emplois et un immense désir d’économie répandu dans tous les esprits. » Rien n’arrêtait les novateurs. On ne s’inquiétait guère des services éclatans rendus jadis par les régimens condamnés. On ne songeait qu’à l’argent qu’ils coûtaient, aux inégalités dont ils bénéficiaient. Une rage de destruction emportait tout le monde.

A la Cour, au contraire, et dans les hauts rangs de l’armée, la surprise, la crainte, la colère, croissent presque d’heure en heure. A la tête de chacun des corps visés par le ministre est, en effet, quelque grand personnage, qui s’agite, intrigue ou menace, résiste avec une ardeur acharnée. Pour les gendarmes de la garde, la bataille est menée par le marquis de Castries et le maréchal de Soubise, pour les chevau-légers, par le duc d’Aiguillon, le propre neveu de Maurepas. L’argument principal dont se servent ces défenseurs est que, dans les corps susnommés, les charges d’officiers ont été bel et bien achetées, payées à beaux deniers comptans, par ceux qui les exercent, et qu’on ne peut les abolir sans restituer l’argent. Rien que pour les gendarmes, ces remboursemens s’élèveraient, pour quarante charges, à la somme de quatre millions. De même des autres corps. Où trouver les fonds nécessaires, à une époque où pas d’impôts nouveaux est devenu la formule sacro-sainte ?

En même temps que les têtes s’échauffent, les incidens se multiplient. L’article relatif aux « carabiniers de Monsieur » suscite une discussion qui dégénère bientôt en querelle personnelle. Leur commandant, le marquis de Poyanne, soutenu