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inévitablement la réforme complète des corps privilégiés, dont l’ensemble formait la « Maison militaire » du Roi. Sur nul autre chapitre il n’était permis d’espérer de faire une épargne aussi forte.

L’origine de l’institution n’était guère moins ancienne que celle même de la monarchie. Pour leur sûreté particulière et pour la splendeur de leur trône, toujours les rois avaient jugé utile de s’entourer d’une troupe d’élite constituant leur garde spéciale. Mais c’est seulement sous Louis XIV que ces corps avaient pris l’ampleur, l’extraordinaire éclat, dont le Grand Roi aimait à revêtir tout ce qui approchait de sa personne sacrée. Une ordonnance, datée du 6 mai 1667, en fixait la composition, réglait les détails du service, déterminait les préséances. A la fin du XVIIIe siècle, l’édifice construit par Louvois restait encore intact en ses lignes essentielles.

Non que les critiques eussent manqué. Dès 1717, le duc de Saint-Simon, membre du Conseil de Régence, en avait dénoncé hautement les vices et les inconvéniens : rivalité des corps entre eux, entraînant des querelles, des refus de service et des actes d’indiscipline ; excessives prétentions des chefs, presque exclusivement recrutés parmi les plus grands seigneurs du royaume ; embarras résultant de la foule d’équipages qui gênaient, en campagne, les mouvemens de l’armée, et surtout dépense effroyable occasionnée par ces troupes brillantes et fastueuses, quatre ou cinq fois plus onéreuses que les troupes ordinaires[1]. Avec le prix d’un de ces escadrons, assurait Saint-Simon, on eût aisément entretenu quatre escadrons de cavalerie. « Or, disait-il, quelque valeureuses qu’on ait éprouvé ces troupes, on ne peut espérer qu’elles puissent battre leur quadruple, ni même se soutenir contre ce nombre[2]. » Pour ces raisons diverses, le duc avait proposé au Régent de ne laisser debout que les gardes du corps et de supprimer tout le reste. Il dut bientôt battre en retraite devant l’opposition de puissans personnages, devant « les cris, les brigues, » que provoqua l’annonce d’une mesure aussi radicale. « Nous comprîmes qu’en proposant une réforme si utile, elle ne se ferait jamais, et que

  1. Pour n’en donner qu’un exemple, un lieutenant des gardes du corps touchait un traitement annuel de 10 000 livres, tandis qu’un lieutenant de compagnie détachée aux frontières n’avait que 400 livres de solde.
  2. Mémoires de Saint-Simon, édition Chéruel, t. XV.