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pas à celui qu’il remplace. Tous les partis ont perdu du terrain, excepté les socialistes qui ont plus que doublé l’étendue du leur : ils étaient 53, ils reviennent 110. Le Centre, les conservateurs, les conservateurs libres, les radicaux ont tous été plus ou moins atteints par la vague électorale : les socialistes seuls ont été renforcés dans les proportions que nous venons de dire. Ils ont aujourd’hui 19 voix de plus que le Centre, qui n’en a que 91. Que feront les nationaux-libéraux et les radicaux en présence de cette victoire socialiste si éclatante ? Quoiqu’ils soient en minorité dans l’assemblée, ils feront pencher la balance dans le sens où ils se porteront. Le chiffre des voix que les socialistes ont conquises dans ce pays depuis les élections de 1907 est encore plus inquiétant que le chiffre de celles qu’ils auront au Parlement impérial : il est passé de 3 259 999 à 4 225 000. Est-ce à dire qu’il y a vraiment en Allemagne autant de socialistes que ces gros chiffres sembleraient le faire croire ? Non, sans doute les votes socialistes n’ont été souvent qu’une simple manifestation de mécontentement ; les bourgeois libéraux ont nommé des socialistes pour donner une leçon au gouvernement, comme on disait et comme on faisait autrefois chez nous : mais ces leçons sont parfois aussi dangereuses pour ceux qui les donnent que pour ceux qui les reçoivent. Elles le sont moins cependant en Allemagne qu’en France parce que le Reichstag a beaucoup moins de pouvoir réel que nos Chambres. Cette formidable poussée socialiste n’en est pas moins un phénomène significatif. Elle a atteint son point culminant à Potsdam même, où M. Liebknecht a été élu, en dépit de tout le zèle déployé par l’administration, dans la circonscription où l’Empereur a une de ses résidences officielles : la majorité du député socialiste a été de plus de 5 000 voix. Malgré tout, le gouvernement garde un grand calme ; il affecte même d’avoir confiance ; les journaux officieux, prenant la chose du bon côté, disent volontiers que la rupture du bloc bleu-rouge, c’est-à-dire du bloc conservateur et catholique, libère le gouvernement d’une sujétion qui était lourde pour lui. La question est de savoir s’il ne tombera pas de Charybde en Scylla : l’avenir seul peut la résoudre.


Francis Charmes.
Le Directeur-Gérant,
Francis Charmes.